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dans toute l’Inde, à visiter les sanctuaires les plus réputés, à assister aux fêtes. Non content d’honorer par des pèlerinages ses innombrables dieux, il vénère aussi les divinités étrangères. Je vous parlais de Notre-Dame de Lourdes : la vierge miraculeuse possède une chapelle à Pondichéry, et les dévots les plus empressés à offrir des cierges ne sont pas toujours les chrétiens. Les femmes hindoues des diverses castes y font aussi brûler des cierges et adressent leurs vœux à la grande déesse des chrétiens. Dans l’église de la mission, toujours à Pondichéry, on peut voir une statue de Saint-Michel. L’archange foule aux pieds le dragon sous les espèces d’un homme noir, muni d’une queue de serpent qui se termine en dard, et portant sur son front le ndman, le signe procréateur, le symbole de Vichnou, objet de l’exécration des missionnaires. Ainsi ont-ils imposé l’image du christianisme conculquant l’hindouisme dans ce qu’il a de plus hideux. Les chrétiens brûlent devant Saint-Michel des bougies sans nombre ; les brahmanistes ne se font faute de les imiter. Mais leurs dévotions s’adressent au démon qui porte l’insigne de Vichnou. Ainsi s’établit une tolérance réciproque qui s’achemine, peut-être, vers un syncrétisme indo-chrétien, tout pratique. La largeur d’esprit d’Ackbar aurait certainement mieux réussi dans l’Inde que le fanatisme sauvage d’Aureng-Zeb, d’Hyder-Ali et de Tippou-Saïb. Mais cette largeur d’esprit devançait son temps. Ce temps fut celui où le zèle ardent d’un François-Xavier semait sa route de bûchers dont les flammes dévoraient les Hindous christianisés, hérétiques de fait, mais inconsciens de leur état ; celui où un légat du Pape, prétendant obliger les Hindous convertis à renoncer aux signes extérieurs du paganisme, amenait, au XVIIe siècle, 54 000 apostasies parmi les chrétiens ; celui où les Portugais dépassaient en fureur iconoclaste les musulmans les plus exaltés ; celui même où la femme de Dupleix, fidèle à ses origines lusitaniennes, obtenait de la faiblesse infatuée de son mari la permission de ruiner, à Pondichéry, en 1748, le grand temple de Vichnou Péroumale. Cette action compte parmi les plus impolitiques de Dupleix et aussi parmi les plus blâmables. Car il oublia, ce jour-là, qu’une des conditions de la cession du territoire faite aux Français avait été leur engagement de respecter le culte hindou. Ces engagemens furent consentis deux fois. Dupleix crut pouvoir s’y soustraire. La haine traditionnelle dont le poursuivent les Hindous