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Les débordemens de Mariammin sont figurés en détail sur les bas-reliefs de ses pagodes et de ses chars ; je vous en épargne la description. Sa tête est déposée dans le sanctuaire de chacune de ses pagodes. A Virapatnam, ce sanctuaire est, paraît-il, fort ancien. Il représente le chevet d’une croix dont la pagode elle-même, beaucoup plus récente, reproduit la disposition. L’histoire de cette tête, que je n’ai pu voir, car l’entrée du sanctuaire est interdite aux profanes, n’est pas moins miraculeuse que la légende de la déesse. Trouvé par des Macquois dans leurs filets tendus au fond de la mer, ce chef de pierre fut transporté dans le pagotin primitif, où sa présence s’affirma par quantité de prodiges. Jamais il n’en doit sortir. A côté, on conserve une statue de bois, non moins vénérée. Elle représente le corps de la Parachi. L’image que l’on exhibe, sur un char, pendant les cérémonies, est en bronze.

C’est elle que nous voyons s’avancer sur la route. Elle disparaît sous des guirlandes. Un brahme et des Poussaris, prêtres de basse caste, la flanquent et tapent sur des nacaires de cuivre. Jusque sous les chevaux cabrés du quadrige en bois sculpté et peint, la foule s’écrase pour recevoir les fleurs qui ont touché la déesse, et que le brahme lance à poignées. Tous, hommes et femmes, se disputent les pétales, se les arrachent, se les rejettent après les avoir portés à leur front. Le cocher tricéphale qui se dresse à l’avant du char entre les lions bondissans et les pions de bois doré, sourit de ses trois bouches, de ses six yeux, à la multitude qu’il domine. Les fidèles se bousculent dans leur empressement à tirer sur les cordes, et le véhicule où trône la Mariammin de bronze progresse lentement, secoué au hasard des ornières, tel un vaisseau bercé par la houle.

La fête bruit, sous le soleil brûlant, dans des nuages de poussière. Dans cette fourmilière humaine, toutes les castes sont confondues. Les plus jolies Indiennes, dans leurs plus riches atours, sont coudoyées par des mendians hideux, presque nus. Pandarams vêtus de roux, Dasseris en haillons, Poussaris non moins dépenaillés, toute la racaille des pénitens, des petits sacerdotes mendians, balafrés de rouge, de blanc, ou de traînées de cendres, tourbillonnent côte à côte. Par endroits les têtes rasées roulent, innombrables, à rappeler le moutonnement des vagues de la mer. Des remous s’y forment d’où émerge une voiture traînée par de petits bœufs blancs ou fauves dont les clochettes