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arrêt de plusieurs heures, que coupe un déjeuner frugal et peu coûteux, pris au buffet de la gare. Puis le train du soir vous mène, de sa petite allure modeste, franchement indienne, jusque dans Vellore où l’on trouve un bengalow, un lit et une table suffisante.

Je vous en parle, d’ailleurs, d’après les guides, car l’aide collecteur anglais m’a donné l’hospitalité de la meilleure grâce du monde. Le gouverneur de Madras, quand je lui rendis visite à Otakamund, dans les brouillards de la haute cime des Nilghiris, au mois de juillet, me recommanda à toutes les autorités de la Présidence, afin que je fusse bien reçu partout.

Cependant, à me rappeler la manière dont je fus accueilli dans le Sind, le Bélouchistan et l’Oman, en 1896, par les fonctionnaires et les officiers de Sa Majesté, je trouve que la différence éclate aujourd’hui fâcheuse. Les Anglais, au cours de ce voyage de 1901, ne m’ont montré aucune amitié. Tous ont été unanimes à me reprocher l’attitude de la Presse française lors de la guerre sud-africaine. Ces attaques furent cruellement ressenties par l’Angleterre. Et tout étranger que je sois au journalisme, tout partisan que je sois de l’Impérialisme, de la domination du plus courageux, du meilleur, tout admirateur convaincu que je sois de la ténacité et de la solidité britanniques, je ne réussis guère à ramener mes auditeurs anglais. Ou bien je m’attire des complimens dans le genre de celui-là :

— Venez, accourez, messieurs ! Voici un Français qui aime les Anglais !

Enfin, grâce à l’aide collecteur de Vellore, j’ai pu visiter et la ville et la forteresse. Mais j’ai payé rançon en subissant la lecture d’une élucubration littéraire, pas plus mauvaise qu’une autre, d’ailleurs. L’auteur, mon hôte en personne, qui connaît très bien le français, y exposait les griefs de l’Angleterre contre la France. Il lui reprochait son manque de gentillesse dans une langue archaïque conventionnelle, beaucoup plus voisine du patois qu’employa Balzac dans les Contes drolatiques que du jargon de Rabelais. Ne trouvez-vous pas quelque chose de touchant en ce jeune fonctionnaire du « Civil Service » qui se console des ennuis de l’exil par l’étude de notre littérature ancienne et en se livrant à la fabrication de pastiches dont beaucoup de nos lettrés ne récuseraient point la paternité ? Ces Anglais sont véritablement admirables. Tout en remplissant avec conscience les