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A neuf heures du matin, le colonel Gillespie entrait dans Vellore avec un escadron du 19e dragons, parti à franc étrier de son casernement de Ranipet, et commençait de sabrer les cipayes qui, confians dans leur nombre, essayèrent de faire ferme. Mais ils se débandèrent bientôt sous l’effort du gros des dragons qui avait rejoint. Un renfort, fourni par la 7e cavalerie native, accentua la déroute. Près de quatre cents mutins périrent dans la citadelle, le reste se rendit à discrétion. La révolte était étouffée ; le châtiment fut proportionné à la faute. En pareil cas l’excès de rigueur est ordonné encore plus par la politique, qui prêche avant tout par l’exemple, que par l’idée de justice. Les répressions molles encouragent les séditions qui mettent sur le compte de la lâcheté ce qui n’est qu’humanité mal comprise. Tout gouvernement sûr de lui-même se doit d’imposer le respect. Pour l’Oriental, le respect n’est que la forme extérieure de la terreur. N’honorant que la force, il ne la comprend plus quand elle ne s’accompagne pas d’une sanction.

La sanction de la justice anglaise se recommanda par son impitoyable rigueur. Et sans doute ne contribua-t-elle pas peu à établir, cette fois prise pour toutes, la paisible domination où l’Hindou avait peu à perdre et tout à gagner. Tous les chefs du tumulte de Vellore furent, suivant l’usage, attachés à la gueule des canons, et leurs corps volèrent par quartiers devant le front des troupes : supplice théâtral, peu cruel si l’on s’arrête à la nature subite du trépas, et qui est peut-être celui où le condamné sent le moins venir la mort, puisqu’un seul coup disperse sa dépouille charnelle aux quatre vents du ciel. Le 1er et le 23e régimens natifs furent rayés des contrôles de l’armée ; et il ne fut plus question de la révolte.

Cet incident, peu important en soi, si l’on considère l’époque, tant aussi il se répète dans l’histoire de toute conquête, porte cependant sa leçon morale. Il prouve, ce que je vous répète depuis des années, que les peuples des colonies sont toujours composés de sujets et jamais de citoyens. Indifférens à la main qui les gouverne, lis sont toujours prêts à reconnaître le maître de l’heure, que celui-ci vienne d’Orient ou d’Occident. Les agitateurs politiques, ambitieux ou intrigans de hasard, n’ont pas à compter sur la multitude, comme en notre malheureux pays, proie de choix pour les marchands d’orviétan et de bonheur social. Seuls, en Inde, les corps militaires leur peuvent servir