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le colonel Ross-Lang se fût laissé forcer dans Vellore, nul doute qu’Hyder-Ali n’eût détruit ce bijou d’architecture religieuse où l’art dravidien affirme ce principe que la grandeur des lignes ne consiste pas dans l’écrasante majesté de la masse. On croit généralement que les temples indiens sont de proportions énormes. Les photographies courantes ont contribué à vulgariser cette erreur. Les voyageurs, et bien d’autres avec eux, attachent un grand prix aux fortes dimensions. Ceci me rappelle l’ingénuité d’un missionnaire des environs d’Arni. Alors que je parcourais ce district en 1880, me voyant occupé à mesurer les hommes de son village, le bon Père m’en amena un, en triomphe : « Prenez plutôt ce gaillard-là, il est extraordinairement grand ! » C’était se faire une idée assez fausse des principes mêmes de la mensuration appliquée à un ensemble de populations. De même que certains naturalistes, ou soi-disant tels, récoltent seulement les plus gros insectes, les plus larges d’entre les papillons, les plus longs parmi les serpens, les plus brillans qu’ils trouvent parmi les’ oiseaux, et négligent les petits, les sombres, les humbles, beaucoup de touristes ou d’explorateurs, à votre choix, ont rapporté les seules images des édifices qui leur paraissaient dépasser les proportions communes, — ainsi de cette tour qui se dresse au-dessus du Chandikesvaram de Tanjore à une hauteur de 63 mètres environ, — et ont négligé des perles de l’architecture religieuse telles que le temple de Soubramanyé, etc.

Les Anglais n’ont pas seulement sauvé la pagode de Vellore, ils l’ont conservée dans son intégrité, et cela par un moyen d’une simplicité extrême. Bien avant qu’on eût inventé les « Monumens historiques, » le fameux Archeological Survey, ils avaient trouvé la solution la plus pratique pour soustraire les vieilles bâtisses à la dégradation. La pagode du dieu Çiva devint l’Arsenal de la place. A la foule malveillante et brutale des musulmans fanatiques se trouva, du coup, interdit l’accès du temple, où elle aurait vivement martelé ou lapidé les sculptures, en haine du culte idolâtre. Du côté des Hindous, il n’y eut point de réclamations, car depuis la fin du XVIIe siècle la pagode çivaiste était abandonnée. La tradition attribue cet abandon à un meurtre. Le sang aurait coulé dans l’enceinte, au voisinage du sanctuaire même. La profanation était de celles qu’aucune purification ne peut racheter. Les brahmes se retirèrent et l’édifice