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même que le parachèvement absolu d’une œuvre, y est tenue pour la négation de la vie. Et c’est en vertu de ce principe que les pagodes ne doivent jamais être terminées. On y doit travailler sans cesse, ou les abandonner. Si, comme la grande majorité des pagodes dravidiennes, celle de Vellore eût été construite en épaisses assises de briques, depuis longtemps il n’en resterait plus que des ruines où les Djaïnas, qui collectionnent pour leurs temples les belles sculptures et les belles colonnes, à l’exemple des papes de l’ancienne Rome ou des empereurs de Byzance qui en ornaient des églises, n’auraient rien laissé à y glaner. La nature de la matière employée explique non seulement la conservation, mais aussi la légèreté de l’ensemble. S’il s’agissait des plus anciens temples de l’Inde qui, vous le savez, étaient construits en bois, on ne trouverait pas à louer davantage le travail du bédane et du ciseau. Tout, d’ailleurs, indique une disposition de charpentes. La pierre copie le bois, le parpaing imite la poutre. Pas de voûtes, pas d’arcades à points convergens, mais des blocs disposés toujours par assises étagées en saillies croissantes, avec des colonnes pour soutiens. C’est là le principe fondamental de l’architecture dravidienne, et il se trouve énoncé dans les plus antiques traités, tels que celui de Ram-Rat, où il est dit que les voûtes à points convergens « ne dorment jamais. » Les têtes des saillies, dans toutes ces assises croissantes, sont si admirablement travaillées en doucines, terminées en poupe de vaisseau, reliées aux encorbellemens par des consoles à pendentifs et à culs-de-lampe, que l’on n’éprouve jamais cette impression de sécheresse que donne trop souvent dans nos monumens l’abus des lignes horizontales et verticales, sans amortissemens. Et l’on ne sait ce qu’on doit ici le plus admirer, ou de la sveltesse de toutes ces colonnes décomposées, ou du poids énorme des corniches monolithes qu’elles ne cessent de supporter depuis des siècles. De ces corniches, chantournées en courbe circonflexe pour former auvens, le façonnage a été exécuté au ciseau, en plein granit, dans des blocs longs de plusieurs mètres, avec les ornemens entablés, les mutules, les gouttes du coupe-larmes et toute la série des monstres constituant le couronnement du cheneau.

Le travail de ces artistes dravidiens n’est pas moins à louer dans les piliers. Ceux du mandapam du Kaliana comptent parmi les merveilles du genre. Les blocs dans lesquels ils sont pris