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seraient point ainsi laissé victimer. Pour aller au pire, peut-être ont-ils transporté les briques et autres matériaux à pied d’œuvre, et encore moyennant rémunération. On les paya, suivant les us et coutumes de la vieille Égypte, où la monnaie n’avait pas cours, avec des denrées.

Et encore, les conquérans cholas, yadavas, pandyas, d’autres même dont les noms sont oubliés, auraient-ils obligé tous ces bons Hindous à travailler pour la gloire, jamais ces pasteurs de peuples ne les auraient rendus artistes de par leur royale volonté. Qu’il s’agisse de ciseler la pierre en observant les canons, de composer des groupes, de leur donner le mouvement, de ménager les proportions, de conserver le caractère de l’ensemble, jamais on n’obligera un homme, eût-il le glaive au-dessus de la tête, à enfanter à la grosse de tels chefs-d’œuvre. Aussi bien, sans plus longtemps nous divertir, reconnaissons que la chose est très simple et ignorée de personne. C’était affaire d’argent, et l’Inde du Sud en avait alors plus qu’à sa suffisance, le fameux arbre aux roupies émettait de vigoureux rameaux. Les rajahs et autres principicules avaient toujours de quoi financer quand il s’agissait de bâtir. Sous la pluie d’or échappée de leurs doigts, la pierre sculptée levait comme les moissons sous les ondées d’été. Alors, tout comme aujourd’hui, l’ouvrier de l’Inde peinait pour un modique salaire. Tout métier est bon qui nourrit son homme, surtout quand cet homme vit avec quelques centimes par jour, et n’est ni électeur, ni terrorisé par un syndicat et par des entrepreneurs de grèves. Dans tout bon métier se recrutent facilement apprentis et maîtres. Il n’était pas rare qu’un prince ou que les fabriciens des pagodes missent en mouvement, pour une portion d’édifice, jusqu’à trois et quatre mille ouvriers, et cela pendant cinq et six années. Les merveilles de Vellore, de Madura, de Vijianagar, de Mahavellipore, n’ont pas, à tout prendre, coûté plus cher que notre Opéra ou notre nouvel Hôtel de Ville, sans que je songe un seul instant à établir une comparaison entre ces « fabricats » occidentaux et les chefs-d’œuvre de l’architecture-dravidienne. Et d’ailleurs les temples précités ont certainement nécessité une moindre dépense, tout en mettant en compte les différences de pouvoir d’argent et dans l’espace et dans le temps.

Ainsi, me livrant à mes réflexions, je m’achemine lentement vers le sanctuaire central. A mesure que nous avançons, le décor