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Entre protestans et catholiques, la lutte dure depuis trois siècles et demi en Irlande, épuisante et désastreuse, déplorée par les vrais patriotes qui tous ont eu pour idéal cette Irlande-Unie qui n’a vécu, il y a un peu plus de cent ans, que juste assez pour montrer qu’elle pouvait vivre. D’un côté la force, la richesse, les honneurs et le pouvoir, le glaive rouillé et le code jauni de la persécution, aux mains de la caste unioniste, de la « garnison » anglaise en Irlande ; de l’autre le nombre, la misère, tout un peuple de vaincus que la conquête anglo-saxonne a dépouillés de leurs terres, de leur aristocratie, de leur gouvernement, séparés des anglicans dans la société par une ligne de démarcation horizontale, — en haut les privilégiés, les amis du « château, » en bas la masse catholique et pauvre, — au lieu de l’être par une coupe verticale comme en Angleterre où le catholicisme compte en ses rangs un duc, des pairs, des bourgeois, des ouvriers, des représentans de toutes les classes sociales[1].

Les catholiques, étant majorité, font la guerre défensive. Il y a en eux moins d’antiprotestantisme que d’antibritannisme : s’ils attaquent la « colonie » anglaise, l’Ascendancy, c’est pour ses privilèges et sa tyrannie bien plutôt que pour sa religion. Qu’un protestant soit nationaliste, nul ne sera plus populaire ; de fait, il y a plusieurs protestans parmi les députés nationalistes, et les mauvaises langues disent même que les électeurs catholiques votent volontiers pour un protestant, s’il est nationaliste, sûrs que celui-là, au moins, ne les trahira pas : n’a-t-il pas brûlé ses vaisseaux ? — Chez les protestans d’Irlande au contraire, — si différens des protestans d’Angleterre, dont ils ne laissent pas de choquer souvent l’esprit libéral et tolérant, — l’anticatholicisme égale ou domine l’antinationalisme. La religion catholique n’est pas seulement pour eux l’ « erreur de

  1. Il y avait en Irlande, en 1901, 3 308 661 catholiques, soit 74 pour 100 ; 581 089 protestans épiscopaliens, soit 13 p. 100 ; 443 276 presbytériens, soit 10 pour 100 de la population totale, sans compter 125 749 individus appartenant à des confessions ou religions diverses. Des presbytériens, — descendans des colons écossais plantés par Jacques Ier et Cromwell en Ulster, — on pourrait dire, si l’on ne savait qu’au XVIIIe siècle ils ont eux-mêmes été persécutés par les anglicans, que, comme les peuples heureux, ils n’ont pas d’histoire. Le chiffre de la population catholique d’Irlande n’a cessé d’osciller depuis trois siècles autour de 75 ou 80 pour 100 de la population totale selon les fluctuations de l’émigration et de l’immigration.