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patronnent d’ailleurs ses propres dignitaires. Fondées pour la plupart au commencement du XIXe siècle, ces sociétés organisèrent dès l’origine en Irlande un vaste système de secours en nature destinés à acheter les conversions, distributions de vêtemens, de soupes surtout, d’où le nom de souperism appliqué au système, et celui de soupers à ceux qui s’y laissaient prendre : un système établi à la fois sur la corruption c’ l’exploitation de la souffrance, et dont le caractère apparut plus odieux que jamais lors de la grande famine de 1847, quand les paysans mouraient par milliers, par les champs et les routes, refusant le secours offert au prix d’une apostasie. Trois ou quatre seulement ont quelque vitalité apparente aujourd’hui ; elles opèrent dans les quartiers les plus pauvres des grandes villes et les campagnes les plus pauvres de l’Ouest. Prêches en plein air, meetings de controverse, lecture de la Bible sur les places publiques, aux foires et marchés, avec lanterne magique pour attirer la foule, placards attirans, tournées d’agens missionnaires qui promènent avec eux leur « hutte » de bois et ne craignent pas de recevoir quelques horions quand ils agacent par trop les populations : tout cela reste absolument sans résultat. Mais les enfans ne se défendent pas comme les adultes, et ce sont eux que visent surtout les sociétés d’évangélisation. Elles les racolent et les achètent, matériellement ou moralement, pour les instruire dans des écoles protestantes ou les élever dans des homes spéciaux décorés du doux nom de Bird’s nests (nids d’oiseaux). Ce coupable trafic de jeunes âmes, qui s’exerce encore assez largement à Dublin, — il a fallu créer une maison spéciale, dite du Sacré-Cœur, destinée à secourir les enfans « prosélytisés » ou en danger de l’être, — est jugé par les protestans libéraux comme il doit l’être — comme une œuvre de scandale et de dégradation. On peut regretter toutefois qu’aucune voix autorisée du monde épiscopalien ne se soit encore élevée publiquement contre ces pratiques d’un prosélytisme corrupteur, qui ne fait qu’exaspérer les catholiques et nourrir en Irlande l’esprit de guerre religieuse. L’ « Eglise d’Irlande » perd, croyons-nous, plus qu’elle ne gagne à l’œuvre des sociétés de propagande, aux bird’s nests et aux scripture readers. Ce ne sont pas quelques centaines d’âmes d’enfans peu honorablement gagnées au protestantisme qui la fortifieront contre l’avenir. L’expérience est fuite : l’Irlande s’est anglicisée au cours du XIXe siècle, elle ne s’est pas, si l’on nous permet ce mot, « anglicanisée ; »