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entière dans ses mains : entrez dans une école primaire « publique, » l’instituteur sera toujours un laïque, mais neuf fois sur dix le manager ou gérant sera le curé de l’endroit, et quant à l’enseignement secondaire ou technique, ce sont partout des prêtres, des « frères » ou des « sœurs » qui le donnent aux catholiques. Toutes les difficultés entre les paysans et le landlord, c’est au curé qu’on s’en remet de les faire lever. Lorsqu’en 1898 l’Irlande eut à faire l’apprentissage du local government, c’est le clergé qui l’y aida, et fit le succès de l’expérience. En politique même, sa voix pèsera toujours d’un grand poids sur les conseils de la nation ; elle sera parfois décisive s’il s’agit des intérêts catholiques, comme en 1902, quand l’épiscopat força le groupe des députés nationalistes irlandais à voter au Parlement pour l’Education bill anglais, c’est-à-dire à soutenir le gouvernement unioniste, par intérêt pour l’éducation catholique en Angleterre. Le clergé dispose ainsi en Irlande d’une puissance exceptionnelle, cela ne peut se contester, si même cette puissance est moindre qu’on ne le dit parfois ; cherchons-en d’abord les causes.

La première est évidente en soi, car il y a peu de caractéristiques de race aussi marquées que l’intensité de la foi religieuse dans les races celtiques, et surtout dans la race irlandaise. Celle-ci était comme prédestinée au catholicisme par ses aspirations spiritualistes, par cet idéalisme instinctif, toujours en contact avec l’au-delà, par ce mysticisme dédaigneux de l’irréalité du monde réel, qui semble avoir protégé du rationalisme protestant non seulement le peuple irlandais, mais la plupart des peuples de sang celtique ; ajoutons par le langage gaélique, de caractère si profondément religieux, si différent du matérialisme utilitaire de cette langue anglo-saxonne où certains esprits croient voir aujourd’hui un danger pour la foi irlandaise. Trois siècles de persécutions n’ont fait que rendre l’Irlande plus attachée à sa foi, et cet attachement plus méritoire, si l’on ne veut dire héroïque. Et maintenant cette foi semble faire partie de la race et de la nationalité, ne se distinguer plus de l’une ni de l’autre. Elle est dans le sang. C’est une seconde nature, un instinct traditionnel qui n’a pas besoin d’être raisonné pour être profond, et qui de fait n’est pas très raisonné, ni philosophiquement étayé, comme il est naturel en un pays où l’instruction est arriérée, la culture et l’esprit scientifique rares. Il y a ainsi,