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en valeur, d’une bourgeoisie vraiment instruite, cultivée, indépendante, capable de remplir son rôle dans la société. Sur les ruines de l’ancienne, une bourgeoisie nouvelle commence sans doute à se reconstituer, mais le haut enseignement fait encore si cruellement défaut, l’enseignement secondaire est lui-même si faible souvent, qu’on ne trouverait aujourd’hui encore chez les catholiques d’Irlande, même dans les classes libérales, qu’un petit nombre d’hommes ayant une véritable et complète instruction, une réelle culture. Ce qui se trouve partout au contraire, c’est une certaine forme d’apathie intellectuelle, un dégoût de l’effort mental, une certaine absence de sens critique et de jugement personnel qui est d’autant plus à remarquer que l’Irlandais a naturellement l’esprit caustique et gouailleur, et le don psychologique : notez que cela n’est pas vrai des seuls catholiques, mais tout autant de l’Ascendancy protestante, car c’est la revanche de l’histoire que les lois pénales n’aient guère moins fait sentir leur effet sur les persécuteurs que sur les persécutés. Voilà une question capitale par exemple, celle de l’enseignement, qui n’intéressera là-bas que fort peu de gens, catholiques ou protestans. D’opinion catholique, on ne trouverait guère, dans le monde laïque, qui soit digne de ce nom, d’autant que l’instruction religieuse des upper classes est rarement poussée un peu avant. L’Irlande n’a pas de ces grands champions du catholicisme qui ont eu nom Windhorst, Ward ou Montalembert. On compterait les hommes d’esprit sûr et cultivé qui sont vraiment indépendans, capables de servir de point d’appui à une opinion publique saine et réfléchie, et de contrepoids à l’influence du clergé dans la vie nationale ; ils sont isolés, trop peu nombreux et trop peu organisés pour s’imposer, et naturellement la masse continue de s’appuyer traditionnellement sur son seul protecteur, le clergé.

Celui-ci est d’ailleurs le premier à reconnaître ce qu’il y a d’anormal, de malsain, dans une société où manque l’educated laity, l’élément laïque supérieur et indépendant, et il est le premier à désirer le développement de cette bourgeoisie instruite et libérale dont il ne réclame que la reconnaissance de ses droits en matière de morale et de foi. Mais d’où vient le mal si ce n’est des lois pénales et des persécutions, — il faut toujours en revenir là, — qui, en privant l’Irlande de ses classes dirigeantes, ont fait la prépondérance du clergé, qui ont réduit le peuple à