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pas en effet de ce nom l’hostilité acharnée, à la fois confessionnelle et politique, que témoignent à l’Eglise romaine les protestans irlandais, ou au moins les plus bruyans d’entre eux, qui ne cessent de clamer : « Trop d’églises ! Trop de prêtres ! Trop de richesses ! » sans se souvenir qu’ils n’ont pas eu à se bâtir d’églises, ayant pris aux papistes les leurs sous la Réforme, et sans s’apercevoir que l’Eglise épiscopale d’Irlande possède non seulement un capital fort honnête que lui a constitué le désétablissement, mais un clergé sensiblement plus nombreux que le clergé catholique à proportion du nombre des fidèles. Du côté des catholiques, nous ne trouvons guère, à côté d’un petit noyau d’intellectuels ou soi-disant tels, naïfs admirateurs de nos pires anticléricaux de France, à côté des « agnostiques » voltairiens et gouailleurs, indifférens surtout, que des politiciens en froid avec le clergé pour causes électorales, et des « intransigeans » à l’idéal séparatiste et républicain, partisans plus ou moins avérés de cette doctrine de la « force physique » que l’Eglise a toujours proscrite, adversaires de la politique du clergé sans l’être du clergé lui-même. En fait d’anticléricalisme, tout cela est assez peu de chose, pour le présent. L’Irlande, qui, par ce qu’il y a d’exceptionnel dans la puissance sociale de son clergé, semble offrir tant de tentations aux attaques des sectaires, n’est pas mûre encore pour le mouvement. Mais le mouvement est d’ores et déjà en progrès. Que sera-t-il ? Cela dépend pour beaucoup du clergé lui-même. D’ailleurs, au jour de l’épreuve, la meilleure sauvegarde de l’Irlande ne se trouvera-t-elle pas être précisément, — felix culpa, — l’anticatholicisme du protestant irlandais, de l’ennemi-né de l’Irlande nationale ? N’empêche qu’il n’y aurait pas présentement de plus grand danger pour l’avenir du pays que celui d’une poussée d’anticléricalisme, et nous pouvons en croire ce que disait naguère un protestant, un libéral celui-là, sir Horace Plunkett, devant une commission officielle, c’est que « si un mouvement anticlérical devait jamais réussir, ce serait un tel danger de dégradation morale, sociale et politique, que toute espérance de renaissance nationale en serait du coup ruinée. »