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elle souffre davantage des absences et des deuils. L’âge et le chagrin ont passé sur elle : de là vient ce charme émouvant et sacré qui est en elle et qui nous fait découvrir à son visage on ne sait quoi d’humain. Ce qu’il dit, le bon poète, c’est la terre et c’est le labeur auguste de ceux qui peinent, afin de lui arracher notre subsistance. Comme ceux qui ont grandi à la campagne et qui sont tout près du sol, il connaît ce que nous autres citadins nous ignorerons toujours : cette espèce de communion avec toute la nature, l’attente des saisons, l’angoisse de l’hiver, l’espoir que l’approche du printemps fait renaître dans les cœurs comme elle fait monter la sève dans les arbres. Il sait le mois de l’herbe et le temps des moissons, l’obscure poussée du grain qui germe et deviendra l’épi de blé, la chanson du vent et les litanies du feu bienfaisant. Il admire les travailleurs des champs pour leur effort continu et pour leur patience féconde ; et, dans sa reconnaissance, il leur associe ces compagnons de leurs épreuves quotidiennes, les animaux. Entre eux et les humains n’y a-t-il pas, en même temps que la camaraderie du travail,


Cette fraternité tragique de la mort ?


Ce qui donne à cette poésie vaillante et saine un caractère de véritable grandeur, c’est qu’elle baigne dans le passé, et c’est que l’image s’y reflète de ce qui ne change pas. Le geste du semeur s’élargit jusqu’aux lointains d’une antiquité millénaire. La mort a passé sur ces choses et ces gens de la campagne. Le lit des nouveaux époux est fait d’un noyer planté par un ancêtre ; autour de l’âtre se sont groupés ceux de la maison qui ne sont plus ; le même sol qu’ils ont labouré jadis, abrite maintenant leur éternel repos.

Le premier recueil de M. Louis Mercier : Voix de la Terre et du Temps avait déjà frappé l’attention par ses qualités de franchise et de simplicité robuste, et par cet art de dire avec intensité des choses profondément senties. On rencontre ici maint tableau d’un réalisme sobre, et qui donne, sans qu’on puisse s’y tromper, l’impression de la scène vue :


La table, un jour d’été. Les gens de la maison.
Le père, les grands fils, les lâcherons à gage
Qu’on garde tout le temps que dure la moisson
S’acquittent de manger comme on fait d’un ouvrage.

La femme, ainsi chez nous l’usage ancien le veut,
Esclave des travaux humbles et véritables,
Demeure près de l’âtre et veille sur le feu,
Laissant les hommes seuls prendre place à la table.