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Ils mangent sans rien dire et sans penser à rien.
Les cuillers à leurs doigts tintent sur les écuelles,
Une guêpe bourdonne à la vitre ; le chien
Rôde avec le désir du pain dans les prunelles.

La porte est grande ouverte et laisse voir les champs,
Le pays et le ciel et le soleil immense.
Tout se tait, hors, parfois, au fond des blés, le chant
D’une caille annonçant la saison d’abondance.


Mais ce qui mérite surtout d’être remarqué chez M. Louis Mercier, plus encore que la carrure d’un vers solide et plein, c’est l’ampleur de la composition. Chacune des pièces du recueil forme une sorte de poème où le rythme varie avec les divers momens du drame. Prenons pour exemple celle qui est intitulée : la Porte. Voici d’abord les heures du jour où la porte s’ouvre pour accueillir ceux qui viennent, les mendians comme les travailleurs et les bêtes comme les gens ; puis c’est le soir où la porte se ferme sur ceux qu’elle va garantir de toutes les embûches de la nuit ; peu à peu le poète subit l’inquiétude de l’ombre, l’angoisse des ténèbres ; il lui semble deviner le fantôme de la mort qui rôde, et, en des strophes inquiètes, il supplie la porte d’écarter l’ennemie ; mais déjà l’obscurité s’éclaircit, l’aube dissipe les terreurs avec les ombres, et la vie renaît avec l’activité matinale. C’est là le mouvement propre à la poésie lyrique, celui qui traduit les progrès de l’émotion dans l’âme du poète. En un temps où les meilleurs ont l’haleine si courte, il est intéressant de noter chez un écrivain en vers cette largeur de souffle.

M. Louis Mercier décrit la maison et toutes les parties de la maison : la porte, les fenêtres, la cave, le grenier, et la cheminée, la table, le lit, l’horloge, etc. M. Abel Bonnard, auteur des Familiers[1], nous décrit toute la basse-cour, tout le poulailler, toute la volière. Nous trouverons donc, dans cet immense « bestiaire, » le chien et le chat, le coq et la poule, le lapin et le cochon, l’oie et la dinde, et les colombes, et les hirondelles, et les pigeons, et bien d’autres aussi. Car si M. Bonnard n’oublie ni l’aigle, ni l’alouette, ni le corbeau, il accueille pareillement dans sa ménagerie et le puceron, et le moustique, et l’araignée, et le grillon, la limace, le rat et la punaise, et il nous dira le « propos des ménagères contre les mites. » Encore, et si variée qu’elle soit, la collection n’est-elle pas complète. Il reste beaucoup à faire à M. Bonnard, s’il veut mettre en vers toute l’histoire naturelle.

  1. Abel Bonnard, Les Familiers, 1 vol. in-18 (Lecène et Oudin).