Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissance avec la duchesse de Neubourg, et avec leur fille ? Puis, lorsque arrivèrent les deux dames, il apparut que, malheureusement, la duchesse ne pouvait parler ni l’anglais, ni le français ; mais au contraire sa fille connaissait toutes les langues, et allait se faire une joie de leur servir d’interprète.

Ainsi la conversation s’engage, et Peterborough, pendant que la jeune princesse s’ingénie à lui découvrir tous ses talens, — avec une insistance dont il ne laisse pas d’être un peu choqué, — a le loisir de procéder à son examen. « La princesse est âgée de dix-huit ans ; elle est de taille moyenne, d’un teint agréable, d’un visage plutôt rond qu’ovale ; et la partie de sa gorge que j’ai pu voir est blanche comme neige ; mais, au total, étant donné son âge, on devine qu’elle est portée à devenir grasse. » L’impression de l’examinateur, décidément, n’est pas bonne. Il attend avec impatience la fin de l’entrevue, et se hâte de quitter Dusseldorf, sans avoir dévoilé son incognito : ne prévoyant pas que, seize ans plus tard, cette même princesse, devenue la troisième femme de l’empereur Léopold, va se venger sur Jacques II du dédain de son mandataire, et contraindre son mari à rejeter les touchans appels de secours que lui adressera le roi détrôné.

De retour à Paris, Peterborough est chargé d’étudier un nouveau parti. La duchesse de Portsmouth, maîtresse de Charles II, a imaginé de marier le duc d’York avec une nièce de Turenne, Mme d’Elbeuf : mais cette demoiselle vient à peine d’avoir treize ans, et Peterborough ne peut prendre sur lui d’encourager son mariage avec un prince de quarante ans passés. Tout compte fait, c’est encore la princesse de Wurtemberg qui lui semble, comme aussi au duc d’York lui-même, le parti le plus sortable. Il retourne donc la voir, dans son couvent ; et, cette fois, lui fait connaître « les ordres qu’il a toute raison de penser qu’il va recevoir, et après lesquels il n’aura plus qu’à l’appeler sa Maîtresse, en lui offrant les respects dus à la qualité qui accompagne ce titre. » Sur quoi Peterborough raconte que « la modération que montrait d’ordinaire la jeune princesse, dans son caractère, n’a pas été assez grande pour lui faire dissimuler sa joie en cette occasion. » Hélas ! au moment même où il rentre chez lui, de cette visite, une dépêche lui est remise qui lui défend de s’occuper désormais de la princesse de Wurtemberg, et lui enjoint de se remettre en route, immédiatement, pour Modène. Et Peterborough obéit, mais non pas sans avoir cherché, de tout son cœur, un moyen d’adoucir à la princesse Marie-Anne la cruelle déception qui lui est réservée.