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je pleure beaucoup et suis très affligée, ne parvenant pas à me défaire de ma mélancolie.

Puissiez-vous du moins, ma chère Mère, trouver une consolation dans ce que je vais vous dire : que le duc mon mari est un très bon homme, et me veut un grand bien, et ferait tout au monde pour me le prouver. Il est si ferme et si résolu dans notre sainte religion (qu’il professe ouvertement, comme un bon catholique), qu’il n’y a rien qui puisse jamais le décider à l’abandonner ; et, dans ma tristesse, accrue encore par le départ de ma chère maman, c’est cela qui fait ma consolation.

Je reste, à jamais, votre fidèle et affectueuse fille

MARIE D’ESTE, duchesse d’York.


C’est ainsi qu’a commencé la carrière publique de cette reine dont Dangeau allait pouvoir dire, un demi-siècle après, « qu’elle était morte comme une sainte, et comme elle avait vécu, » et Saint-Simon que « sa vie et sa mort étaient comparables à celles des plus grands saints. » On a beaucoup écrit sur Marie de Modène, depuis son temps jusqu’au nôtre ; et les longues années de son exil à Saint-Germain, notamment, ont fait l’objet de nombreuses publications, anglaises et françaises, dont la plupart n’ont que le défaut d’être rendues un peu ennuyeuses par une préoccupation trop constante, et malheureusement trop commune chez tous les hagiographes, d’insister à l’excès sur les preuves du martyre de la sainte princesse. Mais tout cela s’efface, désormais, devant l’énorme et magnifique ouvrage que vient de consacrer à la seconde femme de Jacques II un érudit anglais, M. Martin Halle. Non que celui-ci ait mis dans son travail plus d’agrément littéraire que ses devanciers : je dirais plutôt qu’il a entièrement supprimé de son travail toute littérature, pour n’en faire qu’un recueil, Completel définitif, de documens originaux, quelques-uns peu connus et un très grand nombre absolument inédits. Les archives publiques de Londres, de Paris, de Modène, de Vienne, du Vatican, de Florence, les archives privées des grandes familles jacobites du Royaume-Uni, M. Halle a tout exploré, avec une conscience et un bonheur admirables, dans son désir de nous présenter une image exacte, « documentaire, » de la vie et de la personne d’une princesse qu’il s’abstient toujours soigneusement de juger, et dont nous sentons toutefois qu’il l’aime et la vénère à l’égal des plus enthousiastes de ses prédécesseurs. Et quelle étonnante récolte d’histoire, grande et petite, il a rapportée de ces explorations ! A côté de la série des lettres intimes de Marie de Modène à sa famille, aux religieuses de la Visitation, à ses amis, italienne et anglais, son livre abonde eu extraits des rapports