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de plus caractéristique, à ce point de vue, que le contraste des deux figures du roi et de la reine, juxtaposées, et accompagnées de celles de leurs deux enfans, dans une gravure de propagande jacobite qui doit avoir été dessinée à Paris vers 1696 : Jacques, malgré tout l’effort pieux de son portraitiste, garde toujours la mine à la fois hautaine et maussade d’un prince qui n’a que trop de motifs de se plaindre du sort ; mais au contraire sa femme, dans le médaillon voisin, amaigrie et pâlie, avec un long visage de fantôme sous les boucles épaisses de sa chevelure, continue à nous sourire doucement, de ses lèvres minces et de ses grands yeux, doucement et presque gaîment, comme si elle avait au cœur une belle flamme de vie que pas une des souffrances de ce monde passager ne saurait éteindre. Et c’est ce sourire que nous retrouvons aussi, par-dessous ses larmes, dans toutes ses lettres : depuis celles qu’elle écrivait, de Londres, aux religieuses de Modène, pour leur vanter les vertus de son mari, ou pour leur faire part des témoignages d’affection qu’elle recevait, — croyait recevoir, — de ses belles-filles, jusqu’à celles que, quarante ans après, de Saint-Germain, déjà veuve, séparée de son fils, réduite à l’indigence, elle écrivait aux religieuses de Chaillot pour leur annoncer qu’elle viendrait partager avec elles un panier de fruits qu’avait bien voulu lui envoyer Mme de Maintenon. De la même façon que son mari avait la soif du martyre, cette victime tragique de la destinée a conservé, jusqu’au bout, la gaité intrépide, invincible, des saints.

Gaîté qui lui venait surtout, comme à tous les saints, de deux sources : de l’impossibilité où elle était, par nature, de penser jamais à soi, et de l’habitude qu’elle avait prise de se » créer toujours des devoirs, qui, en occupant son cœur, l’empêchaient de s’abandonner à des regrets inutiles. Si cruelle que lui fût la vie, elle lui laissait encore des maux à prévenir ou à soulager, des espérances nouvelles à entretenir, de nouvelles occasions de dépenser joyeusement la tendresse d’un cœur tout rempli de l’amour des autres et de Dieu. Exilée d’Angleterre une première fois, en 1679, elle écrivait à son frère, de Bruxelles, qu’elle espérait bien pouvoir lui rendre un service qu’il lui avait demandé ; qu’elle était fort inquiète de la santé de sa belle-fille, la princesse d’Orange, — » qui a un aussi grand désir de me voir que moi de la voir ; » — et qu’elle craignait d’avoir à rester exilée « « pour un bon petit bout de temps ; » mais qu’au reste tout le monde, à Bruxelles, « la traitait avec plus de civilité qu’elle n’aurait pu dire. » L’année suivante, exilée de nouveau, elle écrivait : « Nous n’apprenons rien de bon de l’Angleterre. Le Parlement a commencé ses