Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/955

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exigeaient autre chose, à savoir un ministère doué de prestige, d’autorité et surtout d’activité. On a été loin de compte ! Les événemens auraient pris un autre cours si, dès le lendemain même de son ouverture, la Douma avait été mise en présence d’un programme longuement médité, habilement préparé, énergiquement soutenu. Au lieu de ne lui donner rien à faire, il aurait fallu tout de suite l’accabler de besogne, et se mettre à sa disposition pour l’aider à s’en acquitter. On a fait l’opposé. Mais c’est là le passé : à quoi bon y revenir ? Si nous le faisons, c’est pour montrer l’anarchie dans le gouvernement lui-même, puisque anarchie veut dire défaut d’autorité, de direction et de commandement, et que jamais ce défaut n’a été plus manifeste. Il n’est que trop vrai que la Douma a vécu d’une vie démonstrative, déclamatoire et vide ; mais, à côté d’elle, le gouvernement a été inerte et comme inexistant. L’ignorance des conditions dans lesquelles peuvent fonctionner l’un relativement à l’autre et collaborer un ministère et une assemblée a été pour quelque chose dans le lamentable échec d’une expérience dont on attendait mieux. Nous voudrions croire qu’il n’y a pas eu autre chose, car l’ignorance se dissipe et l’expérience s’acquiert ; mais peut-être y existe-t-il aussi une certaine inaptitude congénitale à se comprendre, à se tolérer et à vivre d’une vie commune, qui se dissipe plus difficilement et qui, pendant qu’elle dure, frappe l’expérience elle-même de stérilité.

Cette incapacité réciproque existe-t-elle vraiment chez le gouvernement et chez la Douma ? Nous le saurons par la suite, puisque l’épreuve doit être reprise, si elle l’est toutefois dans d’autres conditions. En attendant, il est permis de ne pas accepter pour la Douma dissoute un autre reproche qu’on lui a fait. On a mis à sa charge tous les troubles, agraires et autres, qui ont éclaté pendant sa courte session, comme si elle les avait provoqués et si elle en était seule coupable. Il semble, à lire le manifeste impérial écrit en vue de justifier sa dissolution, que l’Assemblée soit intervenue comme un trouble-fête dans un pays calme, heureux, bien ordonné, où son imprudence a déchaîné la tempête. La vérité est, hélas ! toute contraire. Personne, en Russie, n’aurait eu l’idée de convoquer la Douma si le gouvernement autocratique n’avait pas fait la plus lamentable faillite. La Douma n’a pas été une panacée, soit ; elle n’a pas guéri les maux dont le pays soutirait cruellement, nous le voulons bien ; mais ces maux lui sont antérieurs, ce n’est pas elle qui les a créés. Qu’on dise tout le mal qu’on voudra du parlementarisme ; peut-être peut-on en dire beaucoup on voyant comment il se comporte