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tantôt d’y résister et tantôt d’y céder ; et c’est ce qu’on appelle « s’adapter. » La vie n’est qu’une adaptation.

Adaptation aux circonstances, d’abord, et, secondement, adaptation au milieu. C’est ici la philosophie de Montaigne sur « la coutume » Combien de coutumes ! et combien diverses ! et non moins bizarres, ou singulières, ou « farouches, » que diverses ! — moins bizarres, à la vérité, que ne l’a cru quelquefois Montaigne, trop facile aux récits des voyageurs et aux fables des anciens, — combien surtout d’illogiques ou d’injustifiables ! Mais il n’importe ! et ce n’est pas le point ! Il s’agit de vivre, et pour vivre : « Le sage doit au dedans retirer son âme de la presse et la tenir en liberté et puissance de juger librement les choses, mais quant au dehors, il doit suivre entièrement les façons et formes reçues. La société publique n’a que faire de nos pensées, mais le demeurant, comme notre travail, nos actions, nos fortunes et notre vie propre, il le faut prêter à son service et aux opinions communes. C’est la règle des règles et générale loi des lois que chacun observe celles du lieu où il est. » [I, 23, 1580.] Nous nous adapterons donc aux coutumes qui régissent la société dont nous faisons partie ; nous respecterons en elles l’ « armature » ou le « support » de l’institution sociale ; et si nous avons besoin, pour nous y décider, — car cela est parfois difficile, — d’une considération personnelle ou égoïste, nous réfléchirons que « la liberté du sage » ne peut nous être assurée que par le moyen de cette adaptation. La vie n’est qu’une adaptation.

Adaptation aux circonstances, venons-nous de dire, et adaptation au milieu, mais de plus, et encore, adaptation à la nature. " C’était, on se le rappelle, la formule même du stoïcisme : Ζην ὂμολογουμενως τη φύσει ; et par où l’on voit toutde suite qu’il ne s’agit nullement de s’abandonner sans contrainte aux impuisions de l’instinct. À la vérité, je n’en voudrais pas trop dire, et je crains qu’ici Montaigne ne se séparât un peu de Zénon ou d’Épictète. La nature, telle qu’il la conçoit, c’est bien la nature ordonnatrice et souveraine, c’est encore l’Isis féconde et l’institutrice de toutes les vertus, mais c’est surtout sa nature, à lui, telle que l’observation de lui-même, le contact des hommes, l’expérience de la vie la lui ont révélée ; et ceci est un peu différent. Son Essai sur le Repentir est significatif à cet égard. « Le repentir, y dit-il, est un mouvement de l’âme que je ne connais guère, pour ma part ; et aussi bien, de quoi me serais-je repenti, n’ayant jamais rien