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suivait sa politique traditionnelle : depuis François Ier et Louis XIV, elle protégeait l’indépendance du Sultan pour continuer à jouir, à Constantinople, d’un crédit dont les populations chrétiennes de l’Empire étaient les premières bénéficiaires. Pour l’Angleterre, fortifier la Turquie, la placer sous la sauvegarde du droit public européen, c’était le moyen d’écarter les Russes de la mer Egée, d’opposer un obstacle infranchissable à toutes leurs entreprises. Le principe d’intégrité de l’Empire ottoman et de souveraineté du Sultan était donc, entre les mains de l’Angleterre, comme une machine de guerre. Le 19 juin 1877, à la veille des hostilités, M. Layard, ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, écrira : « La politique qui nous a fait soutenir la Turquie pour nos propres fins et notre sécurité, et non pas pour un amour abstrait des Turcs et de leur religion, politique adoptée et approuvée par les plus grands hommes d’Etat, n’est pas de celles que les événemens des derniers mois, n’ayant aucune relation avec elle, suffiraient pour renverser. Cette politique est fondée en partie sur la croyance que la Turquie est une barrière aux desseins ambitieux de la Russie en Orient, et que le Sultan, chef reconnu de la religion mahométane, est un allié utile, sinon nécessaire, à l’Angleterre, qui a des millions de musulmans parmi ses sujets... « L’Angleterre fortifie la Turquie, comme on fortifie un bastion défensif ; elle la pousse dans la voie des réformes et de la centralisation ; pour supprimer les revendications inquiétantes des populations chrétiennes, elle conseille au Sultan de les fondre peu à peu dans une Turquie modernisée, tolérante, libérale et parlementaire. C’est la période de la Charte de Gulhané (1839) et du Tanzimat (1856). On sait de reste quel fut le résultat de cette application à la Turquie des principes du gouvernement libéral anglais. Dans un pays où la religion fait la nationalité, tout essai de centralisation administrative était voué d’avance à un échec certain. La réforme politique et sociale aboutit à un échec complet, tandis que la suppression des janissaires et la réforme militaire réussissaient : en sorte qu’après sa crise de « modernisme, » la Turquie se retrouvait plus musulmane et plus asiatique, plus forte, à vrai dire, militairement, mais aussi plus disposée à opprimer les populations chrétiennes. Exclue des affaires allemandes après 1866, l’Autriche-Hongrie, sous l’inspiration du comte de Beust et plus tard sous l’impulsion d’Andrassy, se tournait décidément vers