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ou de l’ouïe, aussi bien qu’aux excitations violentes de la chair ; par les mortifications morales et les humiliations, ils veulent étouffer les sentimens égoïstes et en particulier le plus dangereux de tous, le sentiment de l’orgueil.

Ainsi, à mesure qu’ils coupent leurs chaînes, ils s’élèvent vers le Dieu qu’ils aiment et deviennent plus capables de l’aimer, puisque, suivant la forte expression de Ruysbroeck : « libre et puissant par l’ascétisme, le mystique porte son âme dans sa main et la donne à qui il veut. »

Il ne suffit pas cependant de libérer son âme, il faut encore lui donner le moyen d’éprouver dans sa plénitude cette affection dont elle a soif. Aussi le mystique s’entraîne-t-il, par des attitudes et par des gestes, à réaliser d’abord dans son être physique l’expression de l’amour de Dieu ; il reste des heures entières agenouillé ou prosterné devant la croix, il tient ses yeux et ses mains levés vers le ciel.

Saint François de Sales n’a-t-il pas écrit que « dans les momens de sécheresse, il convient quelquefois de piquer son cœur par quelque contenance et mouvement de dévotion extérieure[1] ? Pascal n’a-t-il pas conseillé : « Abêtissez-vous, » et les psychologues modernes n’ont-ils pas souvent répété qu’exprimer un sentiment, c’est déjà partiellement le ressentir ?

Et tandis que le corps se maintient de la sorte en état de grâce, tandis qu’il aspire tout entier à l’amour divin, voici la raison qui par la méditation va se convaincre que cet amour est seul légitime et seul digne d’être éprouvé. Le même saint François nous dit que dans la méditation « l’esprit tire à soi les motifs d’amour et les savoure[2] ; » et sainte Thérèse médite sur les plaintes de l’âme séparée de Dieu, sur la douleur de l’âme qui désire Dieu, sur l’excessive bonté de Dieu, sur ce qui peut consoler une âme de son exil ; les titres ont beau changer, le thème ne change guère, et les méditations provoquent ainsi l’adhésion rationnelle de l’âme à ce sentiment que le corps désire et attend.

Mais ce n’est pas encore assez ; l’amour, comme tous les sentimens, ne peut vivre sans des images qui le soutiennent, et, pour émouvoir fortement la sensibilité, ces images doivent être fixes La contemplation, d’après saint François de Sales, consiste à immobiliser sa pensée sur certaines images et choses capables

  1. Introduction à la Vie dévote, II, ch. IX.
  2. Traité de l’Amour de Dieu, liv. VI, ch. II.