Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapporte ces paroles dans sa Relation sur le Quiétisme, ne paraît pas avoir eu d’hésitation sur le sens, puisqu’il ajoute en guise de commentaire : « Mais passons, et vous, ô Seigneur, si j’osais, je vous demanderais un séraphin avec le plus brûlant de tous ses charbons, pour purifier mes lèvres souillées par ce récit[1], quoique nécessaire. »

Fondée sur des citations de ce genre[2], la psychologie des mystiques apparaît comme très simple, malgré les troubles nerveux ou mentaux qui viennent la compliquer ; ce sont, nous dit-on, des âmes ardentes, éprises de la Vénus terrestre : sous l’influence des idées chrétiennes, ils veulent lutter contre la nature, tuer en eux l’éternel désir par l’ascétisme et les mortifications, et, très sincèrement, ils se persuadent qu’ils en sont vainqueurs ; mais on ne retranche pas de sa vie un instinct aussi puissant que l’instinct sexuel. Si on lui fait la chasse, si on le traque, on l’oblige seulement à se déguiser, et c’est lui qui finalement remporte la dernière victoire, puisque, suivant les paroles que Mme de Sévigné appliquait à Racine, les mystiques aiment Dieu, comme les amans aiment leurs maîtresses.


On pourrait s’étonner avec quelque raison de rencontrer une pareille explication de l’amour mystique chez la plupart de ceux qui considèrent le mysticisme comme une manifestation particulière de l’hystérie. C’est un fait bien connu, en effet, que si cette névrose s’allie quelquefois, comme on le croit d’ordinaire, avec l’exaltation des désirs, elle s’associe le plus souvent avec la frigidité des sens, et dans ce cas on ne voit guère comment l’amour de Dieu pourrait être la transformation d’un amour charnel qui n’existe pas. Mais, même en laissant de côté la question de l’hystérie et les objections d’ordre général, on peut, par l’analyse directe des faits, apporter à cette conception de l’amour mystique d’importantes restrictions.

Après les citations que nous avons faites et que nous aurions pu prolonger, on ne saurait contester que les mystiques se servent, pour exprimer leur amour de Dieu, du langage de l’amour humain le plus passionné.

La question est seulement de savoir si la mère Agnès de

  1. Relation sur le Quiétisme, IIe section, p. 98, édition Lachat.
  2. On en trouvera d’autres dans un intéressant article de M. de Montmorand (Rev. Philos., octobre 1903) auquel j’ai emprunté quelques-unes des précédentes.