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qui ne l’ont pas connu quelle influence ont exercée sur lui les plus grands maîtres de la musique au XIXe siècle ; mais peut-être sera-t-il intéressant de saisir sur le vif, dans l’instant même où il les ressentait et les confiait à des amis de choix, l’expression de ses sentimens d’admiration et de son enthousiasme en présence des œuvres qui se révélaient à lui et le troublaient si fort qu’il regrettait parfois de n’avoir pas reçu du ciel le don de création musicale, afin de pouvoir se livrer plus complètement à l’art qui lui procurait d’aussi vives jouissances.

Si Fantin fut, durant toute sa vie, très désireux d’entendre de la musique et s’il s’absorbait, des soirées entières, dans l’audition d’œuvres exécutées d’une façon plus ou moins brillante par des amis partageant ses admirations et ses antipathies ; s’il fréquenta beaucoup les théâtres et les concerts avant de se renfermer dans sa tour d’ivoire de la rue des Beaux-Arts, ce fut surtout en deux circonstances qu’il fut profondément bouleversé par le démon de la musique : d’abord au moment de la grande prospérité des Concerts populaires qui le passionnèrent, lui et tous ceux de son âge, en leur révélant quantité de chefs-d’œuvre dont ils ne connaissaient jusque-là que le titre ou qu’ils devaient se contenter de jouer au piano ; ensuite, à l’heure des premières représentations de Bayreuth, auxquelles un ami lui procura inopinément le moyen d’assister. Or, à ces deux époques, Fantin, qui n’avait pourtant pas la plume abondante, fut comme emporté par le désir de communiquer à d’autres ses joies, ses surprises, ses enthousiasmes ; d’enflammer ses amis comme il l’était lui-même, et ce sont ces lettres-là, toutes inédites jusqu’ici, qui vont nous permettre de le voir sous le coup immédiat des émotions qu’il avait ressenties, de les lui entendre traduire en un langage d’autant plus vibrant qu’il est moins apprêté et plus familier.


II

C’est durant les trois séjours que Fantin fit en Angleterre, en 1859, 1861 et 1864, tantôt à Londres chez le célèbre graveur Seymour Haden, beau-frère de son ami Whistler, tantôt à Sunbury, chez M. et Mme Edwards, qu’il eut la révélation de la musique et du maître qui devaient exercer tant d’empire sur lui, car il rencontra là des dames très au courant de la musique allemande, et il se rappelait toujours avec quelle émotion il avait