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vallée du Nil étaient alors dits justement le grenier de Rome. Quelques siècles plus tard, en dépit de la mauvaise administration des Byzantins, cette contrée était encore si fertile qu’elle enchanta les Arabes conquérans comme l’image du paradis promis par le Prophète. Quelles vicissitudes traversèrent ensuite, sous les diverses dynasties musulmanes, les grands travaux qui dispensent à l’Egypte la vie et la richesse ? Pour répondre à cette question, il faudrait distinguer suivant les époques. Il y a plus d’un siècle, au moment où l’oligarchie des Mameluks fut balayée par l’expédition française, les fellahs, à en croire un mémoire publié dans la Description de l’Égypte par Le Père, un des savans qui accompagnaient Bonaparte[1], luttaient village contre village pour « détourner du réservoir commun l’eau qui leur était nécessaire, sans égard pour leurs voisins..., soumettre l’arrosage de tout un canton au sort d’un combat, et couper à main armée les digues, afin d’évacuer au grand préjudice de leurs voisins la surabondance des crues dont ils redoutaient un trop long séjour sur leur terres. » Ainsi privés d’eau ou inondés, bon nombre de ces malheureux se réfugiaient dans le désert où ils demandaient leur subsistance à une vie nomade et pillarde. Dieu sait ce que l’Egypte serait devenue si cet affreux désordre avait continué !


III

Méhémet Ali ne se contenta pas d’y mettre fin : soucieux de développer dans ses États des cultures nouvelles et rémunératrices, il entreprit une transformation radicale du système traditionnel des irrigations. Les avantages de ce système sont très grands : il réduit au minimum le travail agricole et n’épuise jamais le sol. En revanche, il ne permet normalement qu’une récolte d’hiver. Dès que l’eau a été évacuée, laissant la terre humectée, ameublie et recouverte d’une couche fertilisante de limon, c’est-à-dire entre novembre et décembre, le paysan sème des céréales, des légumes ou du fourrage, il récolte de mars à mai. Puis la terre reste en friche jusqu’à ce que le Nil l’ait recouverte de nouveau. Exceptionnellement, il est vrai, une seconde récolte (dite kedi ou nabari) de sorgho, de maïs et

  1. Mémoire sur la vallée du Nil et le miayaz de Rodah, t. XVIII, édit. de 1824, p. 583. Ibid., XVII, p. 141.