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elle se rassemble, et dans un unisson imprévu et terrible (« Un esclave n’a pas de femme, Un esclave n’a pas d’enfant ») elle porte, elle frappe tout entière et d’un seul coup. Enfin le dernier ensemble vaudrait à lui seul une longue analyse. Dépouillé du drame, de la parole et de la décoration, il reste néanmoins une admirable période musicale. Il l’est par l’introduction rayonnante et triomphale, où les accords parfaits, que les trompettes sonnent, s’étagent comme les degrés d’une échelle de lumière. Il l’est par la noblesse, par l’éclat de la mélodie mère ou maîtresse ; par le double mouvement, flux et reflux véritable, qui l’apporte et la remporte tour à tour ; il l’est par le développement de l’idée, aussi bien que par la qualité de l’idée elle-même ; il l’est, en deux mots, autant que par la pureté de son principe, par la magnificence de son progrès et la force irrésistible de son cours.

Oui, le musicien de la scène des Cantons est plus pur que celui de la Bénédiction des poignards. Mais le second fut maintes fois un grand musicien aussi. Beaucoup de nos jeunes compositeurs le méprisent aujourd’hui, qu’il aurait méprisés bien davantage. Le nom seul de la Bénédiction des poignards attesterait assez quel ordonnateur, quel architecte de sons fut le compositeur des Huguenots. Nous ne verrons pas s’écrouler non plus, quoi qu’on en dise, la cathédrale de Munster, ou la salle du « Conseil supérieur de la marine » à Lisbonne, et « quand il bâtissait de sa main colossale, » ce n’est pas toujours en dramaturge seulement que Meyerbeer bâtissait.

Si parfois le théâtre l’emporte, ou l’égaré au-delà de la musique, — pour ne pas dire au-dessous, — comme la musique, ailleurs, le ramène et le relève ! Alors, entre les deux élémens de son art, que de conjonctions heureuses ! Au début de la conjuration des Huguenots, quel trait de génie, et de génie musical, que certaine modulation découvrant sous l’appel de Saint-Bris : « Ecoutez ! Écoutez ! » de nouvelles et terribles profondeurs ! Trouvailles musicales aussi, les accords enharmoniques sur les premières paroles de la Bénédiction des poignards : « Glaives pieux ! Saintes épées ! » et, plus loin, certaine dissonance de seconde quand éclate l’ « Anathème sur eux ! » plus loin encore, dans le duo, les quintes, rudes et sinistres, où se pose la sinistre demande : « Entends-tu ces sons funèbres ? »

A peine mélodiste, disait-on naguère, et trop mélodiste, trop italien, à ce qu’on prétend aujourd’hui, Meyerbeer, à côté de