Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/784

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dimanche au sermon pour surveiller ses prédicateurs et les reprendre au besoin. Le discours avait-il été trop long, ou trop « galimatias, » suivant son expression, l’Électeur faisait comparaître l’orateur après le service, et le tançait vertement. Il s’était rendu si redoutable, qu’un pasteur perdit la tête en le voyant entrer et s’embrouilla dans la liturgie.

On se représente la fureur du maître lorsqu’un de ces vermisseaux osa lui signifier un blâme en mettant au ban de l’Eglise luthérienne[1]la « seconde femme » que « Son Altesse sérénissime » s’était donnée en vertu de son autorité souveraine. Il manda le téméraire, et s’efforça de redresser ses idées sur la polygamie : « Je lui ai cité Moïse et les Prophètes, écrivait-il à Louise ;… mais je vois bien qu’on lui a fait peur. » Ce pasteur n’était décidément qu’un « pauvre homme, » comme tous les pasteurs, du reste, et tous les curés, et tous les calotins de toutes les religions : « O Ciel ! s’écriait Charles-Louis avec découragement, où est en Allemagne la bonne foi[2] ? »

Sur ces entrefaites, un livre « tombé du ciel, » et qui avait l’air c écrit pour eux[3], » vint lui remettre en mémoire la conduite tenue au XVIe siècle, dans un cas analogue, par le landgrave Philippe de Hesse. Philippe n’était pas l’homme des demi-mesures et des chemins détournés. Marié, lui aussi, et père de nombreux enfans, il avait conçu le projet hardi d’épouser ses amours dans les formes, et d’être bigame à la face du ciel et de la terre ; arrangement auquel Luther et Mélanchton eurent la triste faiblesse de ne pas refuser leur assentiment, et qui fut exécuté, le 4 mars 1540, devant une assistance de choix, où figurait Mélanchton. Charles-Louis se proposa d’imiter un si bel exemple, mais il n’avait pas l’envergure de son modèle et ne réussit qu’à le parodier ; deux pièces curieuses en font foi.

La première est une « attestation »[4]du « pauvre homme » de pasteur que Son Altesse Électorale et la très noble demoiselle Louise de Degenfeld avaient échangé devant lui, à la vérité par surprise, des sermens constituant « le lien du mariage. » Le certificat se terminait par une humble prière à ceux qui le liraient de ne pas être « trop prompts » à en condamner

  1. Louise de Degenfeld appartenait à la Confession d’Augsbourg.
  2. Lettres des 25 et 12 juillet 1657.
  3. Lettre du 31 octobre.
  4. Schreiben des Kurfürsten, etc., p. 364.