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Il n’y a rien de poétique dans tout cela ; mais, à défaut d’une passion exaltée pour sa maîtresse, Charles-Louis entretenait les idées orgueilleuses que l’on sait sur son pouvoir temporel et spirituel. Convaincu que sa volonté devait faire loi, en morale comme en religion ou en matière d’impôt, il accusait sa fille de « n’agir envers lui comme elle devait[1]. » Il s’en prenait à la nouvelle gouvernante, Mlle d’Uffeln[2], qui avait bravement refusé son « approbation[3] » à la polygamie officielle, et il allait faire un éclat, c’est-à-dire une sottise, en la chassant, quand la duchesse Sophie[4]le décida à lui confier sa « chère Liselotte, de laquelle, écrivait-elle, j’aurai autant de soin comme si elle était à moi[5]. » L’affaire arrangée, elle en pressa l’exécution : « À Hanovre, le 15 de mai 1659. —… S’il vous plaisait à cette heure de préparer (le voyage) de Liselotte, nos carrosses l’attendront à Münden, le jour qu’il vous plaira de faire qu’elle y arrive, et d’ordonner les chariots pour le bagage qu’il faudra pour cela. » Nous savons par une lettre de Charles-Louis à Mlle de Degenfeld que le départ eut lieu le 9 juin : « Je suis parti aujourd’hui à 4 heures, et Liselotte une heure avant moi. Son chagrin a été vite passé. Après avoir abondamment pleuré avec X (sa mère, l’Électrice Charlotte), dès qu’elle a eu le dos tourné, elle a réclamé ses citrons. »

Après une visite à Cassel, dans sa famille maternelle, l’enfant prit avec Mlle d’Uffeln la route de Hanovre, et sa tante la trouva un jour chez elle en rentrant : — « 20 de juillet 1659. J’ai été reçue ici par la chère Liselotte d’une mine si sérieuse, comme si c’eût été une personne de vingt ans, et je la trouve si éloignée de celle de sa mère, que je n’y trouve rien à corriger que les pleurs que peu de chose exige d’elle, et on ne s’en doit étonner, puisqu’elle en a vu la mode à Cassel dont vous aurez sans doute déjà eu relation. Je viens d’écrire à Charlotte un compliment sur son heureuse arrivée ; je ne sais si la réponse sera d’absinthe ou de miel ; j’ajoute qu’elle la pourra voir ici, si elle va à Cassel…

  1. La duchesse Sophie à Charles-Louis, lettre du 27 mars 1659.
  2. Ou d’Offeln ; on rencontre les deux orthographes. Mariée dans la suite à M. de Harling. L’une des correspondances les plus intéressantes de Madame leur est adressée. Voyez plus haut, p. 767.
  3. La duchesse Sophie à Charles-Louis, lettre du 6 mars 1659.
  4. Elle était devenue duchesse de Hanovre par son mariage.
  5. Lettre du 18 avril 1659 à Charles-Louis. L’Électeur et sa sœur s’écrivaient en français.