Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement, ne sauraient se dispenser de prêter l’oreille aux voix vénérables de ces ancêtres dont le respect a pris, chez les peuples d’Extrême-Orient, la forme et l’importance d’un culte. Et quelle diversité de types ! Outre les grandes races annamite, cambodgienne, thaï, les montagnes du Laos cachent des populations très diverses, encore mal connues, rameaux détachés de quelque grand peuple détruit ou fugitif ; chassées jusqu’au fond de la péninsule indo-chinoise par des invasions, éloignées de la mer par des peuples plus guerriers ou plus nombreux, ces tribus vivent isolées, souvent sans rapports les unes avec les autres ; les Annamites les appellent en bloc les Khas, au sens où les Romains disaient « les Barbares ; » elles n’ont ni la même organisation sociale, ni les mêmes besoins économiques que les Annamites qu’elles considèrent comme leurs pires ennemis et dont elles redoutent la domination. Quand nous employons des soldats annamites pour faire la police parmi ces peuplades, nous commettons une double erreur, nous employons les hommes des plaines et du littoral dans des montagnes dont le climat leur est nuisible, et surtout nous blessons les sentimens d’une partie de nos sujets et nous allons directement à l’encontre du but que nous poursuivons. On parle beaucoup aujourd’hui, — et avec raison, — de « politique indigène » et l’on cherche à trouver des élémens de prospérité pour notre empire d’Indo-Chine dans le développement des anciennes races et l’accroissement de leur capacité de production ; mais il faut bien voir que la « politique indigène » est délicate à pratiquer et demande de la part des gouvernans beaucoup de tact et de prudence, surtout lorsqu’on est en présence de populations aussi anciennement civilisées, qui ont l’habitude de regarder vers la Chine comme vers le foyer de toute science et de tout progrès et qui vivent sur des terres dont la richesse pourrait un jour tenter la convoitise de voisins puissans et victorieux.

La première condition, pour bien gouverner nos sujets, asiatiques ou africains, est de bien connaître les populations différentes que nous confondons trop souvent sous cette vague appellation d’indigènes. Nos administrateurs commencent à être au courant de la vie sociale, des aspirations et des besoins des Annamites ou des Cambodgiens avec lesquels ils sont en contact dans les villes ; mais ils ont beaucoup moins pénétré les mœurs des tribus des plateaux de l’Annam ou du Laos. Beaucoup