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Ces exemples traduisent bien l’impression de civilisation antique et raffinée, polie et artistique qui émane aussi bien des montagnes laotiennes que des villes de l’Annam ou du Cambodge, comme de toute cette Asie dont la France a assumé la belle, mais difficile tâche de gouverner un large morceau. Nulle part la « politique indigène, » souvent et très bien définie par M. Beau, ne demande plus de ménagemens, plus de conscience et plus d’art, et n’exige des fonctionnaires plus zélés et plus prudens. Nous sommes en présence d’une, ou plutôt de plusieurs civilisations, qui se sont endormies dans leurs traditions et leurs coutumes millénaires ; si nous cherchions à les réveiller trop brusquement, elles s’éloigneraient de nous avec défiance ; mais quand nous aurons travaillé longtemps à l’amélioration matérielle et morale de leur condition et de leur vie, comme elles sont assez intelligentes pour comprendre leur intérêt et nos bienfaits, elles viendront à nous avec tout leur cœur. Il importe aujourd’hui de prendre garde à l’évolution curieuse et inattendue qui commence à s’opérer dans les rangs supérieurs de la population annamite : mieux que tous nos efforts, les victoires japonaises et surtout les édits de l’impératrice de Chine pour la réforme des examens, ont fait comprendre aux plus éclairés des mandarins et des lettrés annamites l’utilité d’une direction européenne ; ils commencent aujourd’hui, spontanément, à nous demander l’instruction française et scientifique : « Puisque la Chine se transforme, pourquoi, se demandent-ils, l’Indo-Chine ne se transformerait-elle pas, elle aussi ? » N’imposons pas, mais donnons volontiers et largement notre civilisation et nos méthodes. Il est en notre pouvoir, aujourd’hui, d’opérer nous-mêmes, en Indo-Chine, la transformation inévitable qui a renouvelé le Japon, qui est en train de transfigurer la Chine et qui, dans quelques années, aura créé un Extrême-Orient nouveau où l’Indo-Chine française pourra, si nous savons adopter une bonne méthode et l’appliquer avec discernement, jouer le rôle de grande puissance.

Ces belles espérances que confirme avec tant de force, en montrant les résultats déjà acquis, une promenade à travers l’Exposition de Marseille, sont la meilleure réponse à la déplorable formule : « Lâchons l’Asie, » que certains publicistes n’ont pas craint de propager. Le moment où elle atteint une pareille prospérité, où ses échanges avec la France s’accroissent, où son