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manœuvres à Alger étaient renfermés la nuit dans le bagne[1], sorte de grande salle voûtée, entourée de chambres, où l’on en entassait jusqu’à trois mille. A chaque bagne était annexée une chapelle, où le vicaire apostolique, ou bien les prêtres, — dont plusieurs étaient même esclaves, — venaient dire la messe le vendredi, jour de repos des Musulmans.

Ils étaient mal nourris, presque exclusivement de végétaux et à peine vêtus ; le costume ordinaire était une paire de braies, un hoqueton[2] de laine et un bonnet noir. Un des négociateurs français écrivait au ministre de la Marine « qu’il avait apporté cent costumes de matelots pour nos pauvres esclaves qu’on disait tout nus[3]. » A la moindre faute, ou bien si l’on trouvait que l’esclave n’avait pas assez travaillé, il recevait des coups de corde à nœuds, voire même des coups de bâton. Souvent, lorsque le captif était en train de négocier son rachat, le maître redoublait de mauvais traitemens, afin d’obtenir une plus forte rançon. Quant aux plus jeunes, — il ne manquait pas de mousses de douze à seize ans, — on s’efforçait de les convertir à l’islamisme, tantôt par des séductions ou des promesses, tantôt par des violences. D’ordinaire, on les menait à la taverne, on les grisait et l’on profitait de leur état d’ivresse pour obtenir le moindre signe d’adhésion à Mahomet ; puis on les affublait d’un turban. Quelques patrons allèrent jusqu’à offrir la main de leur fille, avec la liberté, à des captifs pour prix de leur abjuration. En fait, il y avait un grand nombre de renégats, qui avaient abjuré afin d’obtenir un adoucissement à leur misère. Malheur à ceux qui résistaient ou qui, une fois dégrisés, se rétractaient ! On leur faisait subir de véritables tortures, témoin ce jeune mousse de Saint-Tropez, âgé de quinze ans, qui subit la bastonnade et des châtimens cruels plutôt que de renier le Christ (1633)[4].

Dès que la milice d’Alger entrait en guerre avec une nation européenne et que, seulement, se répandait le bruit de mauvais traitemens infligés à des Turcs dans un port de l’Europe : Naples, Gênes ou Marseille, aussitôt le bey faisait mettre aux fers tous les esclaves détenus dans la régence et usait de représailles sur ceux du beylik. C’était bien pis, lorsqu’un captif,

  1. Il y en avait six à Alger.
  2. Sorte de casaque. Voyez la gravure dans Deslandres, ouv. cité.
  3. Voyez la lettre du capitaine Marcel, 16 novembre 1689.
  4. Voyez P. Dan, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires.