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ainsi. Par malheur, quand nos ministres parlent, il leur arrive de tenir sur ce point des propos très différens.

C’est ce qui est arrivé, par exemple, à M. Clemenceau dans le discours qu’il a prononcé le 30 septembre à La Roche-sur-Yon, et à M. Sarrien dans celui qu’il a prononcé à Louhans. Celui de M. Clemenceau n’était certainement pas improvisé : il a été communiqué à un journal et publié par lui avant d’avoir été prononcé. Nous en négligeons la partie descriptive. M. Clemenceau rentrait dans son pays natal en triomphateur. Ses souvenirs d’enfance lui sont revenus à la mémoire, ont avivé son imagination, ont donné à sa parole une émotion inaccoutumée. Ce Vendéen a parlé à d’autres Vendéens dans un langage très pittoresque. Il s’est plu à retracer à sa manière la vieille histoire de sa province. Tout cela sans doute était intéressant pour les compatriotes de M. Clemenceau, mais un peu moins pour les autres Français. On attendait surtout l’orateur à ce qu’il dirait de la loi de séparation, ou plutôt de la manière dont elle serait appliquée, car ce qu’il pensait de la loi, on le savait d’avance. Il en a très vivement critiqué autrefois plusieurs dispositions ; mais, finalement, il s’est incliné par discipline républicaine, et a voté dans son ensemble une réforme qui ne lui plaisait qu’à demi. Ce ne sont pas seulement les catholiques qui se courbent devant une autorité suprême : l’esprit de parti fait aussi ce miracle. C’en est un que la docilité d’un homme aussi naturellement indépendant, nous allions dire indiscipliné, que M. Clemenceau. Il a donc pris à La Roche-sur-Yon la défense de la loi ; il en a montré tous les avantages pour l’Église, avantages que nous sommes loin de contester, les ayant nous-mêmes plus d’une fois énumérés ; et il a conclu en ces termes : « Je vois qu’on cherche de part et d’autre à prévoir l’action du gouvernement républicain. Quoi de plus simple ? Rome refuse une loi de privilège faite à son profit. Elle dit : tout ou rien. Le temps est passé où elle avait tout. Elle devra se contenter aujourd’hui du droit de tout le monde, du régime de la liberté. Nous vous offrions des privilèges. Vous les repoussez superbement. N’en parlons plus. On nous demande de causer, d’entrer en négociations. De négocier avec qui ? Avec une puissance étrangère ! On nous demande de causer de quoi ? Des droits de la France ! Il n’y a pas de puissance étrangère sur le sol français. » Singulière argumentation ! Si M. Clemenceau a conservé sa parole vive et tranchante, sa pensée, sans doute à cause des circonstances, a perdu quelque chose de sa clarté. Nous n’insisterons pas sur ce qu’il y a d’imprévu dans l’espèce d’horreur