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I

Cette rhétorique n’a pas une très bonne renommée. On a maintes fois reproché aux Panégyristes de manquer de sincérité aussi bien dans le fond que dans la forme : le fond de leurs ouvrages, a-t-on dit, c’est l’adulation, et la forme, c’est la déclamation. Ils ont reçu pour mission de louer le prince, et ils le louent coûte que coûte, quelles que puissent être ses faiblesses, ses vices, ses crimes même. Et comme, en même temps que courtisans, ils sont rhéteurs de profession, ils déversent dans leurs écrits tous les petits artifices, tous les procédés mesquins de leur métier. Il ne faut donc leur demander ni franchise ni simplicité. Aussi des moralistes intransigeans prétendent-ils, comme J.-J. Ampère, que ces malheureux orateurs « sont arrivés au dernier degré de la dégradation morale. » Avec moins d’éloquente indignation et plus de spirituelle ironie, Mommsen veut bien reconnaître que ce sont des modèles, mais il ajoute : « des modèles dans l’art de dire peu de chose en beaucoup de mots, et de protester d’une loyauté absolue avec un manque aussi absolu de jugement et de réflexion. »

Cette sévérité est en partie justifiée, et, par exemple, en ce qui concerne l’art et le style, on ne peut nier qu’il y ait chez les Panégyristes beaucoup de recherche, d’affectation et de mauvais goût. Ils déclament souvent, et comment ne déclameraient-ils pas ? Tout se réunit pour les y pousser, l’éducation qu’ils ont reçue, le genre dans lequel ils s’exercent, les circonstances où ils se trouvent placés. L’éducation d’alors, c’est, avec des défauts encore grossis, celle qui a commencé à fleurir, — ou à sévir, — au Ier siècle de notre ère, celle dont les souvenirs de Sénèque le Père nous ont conservé le fidèle et vivant tableau[1]. Ce qui caractérise tout d’abord cette éducation, c’est qu’elle est exclusivement oratoire. La tentative de Cicéron pour étayer l’éloquence sur une base large et solide de connaissances précises, de droit, d’histoire, de philosophie, a malheureusement échoué : de plus en plus l’éloquence se taille une part léonine dans l’instruction des jeunes gens. Des deux maîtres qui les

  1. On peut consulter à ce sujet l’ouvrage de M. Bornecque, les Déclamations et les déclamateurs d’après Sénèque le Père, Lille, 1902, et le chapitre de M. G. Boissier Sur les Écoles de déclamation à Rome, dans son Tacite, Paris, 1903.