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forment successivement, le grammairien et le rhéteur, le premier est toujours subordonné et sacrifié à son brillant confrère : ce qu’il enseigne n’est accepté que comme notions préalables ou sciences auxiliaires, utiles en vue de la rhétorique, mais sans valeur propre. Or ce qu’il enseigne, c’est tout ce qui est réel et sérieux, c’est tout, à l’exception de la rhétorique elle-même. Voilà ce qu’on regarde comme secondaire, ce qu’on traverse à la hâte pour courir chez le rhéteur, ce qu’on méprise au fond, ce qu’on s’empresse d’oublier pour se consacrer tout entier, et pendant des années, à l’apprentissage de l’éloquence, mais d’une éloquence vide et creuse, délestée de faits et d’idées. Non seulement le but de l’éducation est ainsi limité de la façon la plus étroite, mais pour atteindre ce but, on emploie le moyen le plus artificiel, le discours fictif sur un sujet imaginaire, compliqué et baroque, sans nul rapport avec l’histoire, ni avec le droit, ni avec aucune réalité d’aucune sorte. Déclamer ainsi, c’est, comme le disait un rhéteur un peu plus sensé que les autres, « travailler dans un rêve ; » et soumettre les enfans à un pareil régime, c’est, suivant le mot de Pétrone, les condamner à s’abêtir, parce qu’ils ne voient et n’entendent rien à l’école de ce qui a lieu dans la vie. Et enfin, comme si ce n’était pas assez de les transporter dans ce monde hors nature, on fausse encore cet exercice déjà si factice en ne s’attachant qu’aux choses les plus extérieures et les plus superficielles. On est peu exigeant pour le fond des idées : des descriptions épisodiques, des lieux communs, de ces amplifications « qui ne tiennent pas au sujet et peuvent se transporter n’importe où, » voilà qui suffit. En revanche, comme il faut bien que le désir de se singulariser se retrouve quelque part, on raffine à perte de vue sur l’expression : on veut qu’elle soit épurée avec un soin jaloux, sans rien admettre de trivial, fleurie de métaphores, chargée d’hyperboles, arrangée en ingénieuses antithèses ou aiguisée en « sentences » piquantes ; on veut faire un sort à chaque phrase, à chaque mot. Indifférence à la valeur réelle et pratique des idées exprimées, banalité de la pensée, préciosité de la forme, voilà les vices que développe forcément une éducation ainsi comprise. Or, c’est celle qu’ont subie les Panégyristes. Ne soyons donc pas surpris de rencontrer chez eux les défauts professionnels de ces écoles dans lesquelles et pour lesquelles ils ont vécu : l’étonnant serait qu’ils en fussent exempts.