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avoir lu bien des textes d’une latinité trouble et hybride, ils retrouvent chez Eumène et ses confrères la bonne et saine langue à laquelle ils sont accoutumés. « Le latin des professeurs d’Autun est excellent, dit M. Boissier, et c’est une merveille de voir qu’au IVe siècle, on savait, encore quelque part si fidèlement reproduire les expressions et les tours de Cicéron. » Il est sûr en effet que la façon de parler des rhéteurs gallo-romains est tout à fait classique. À part quelques termes spéciaux consacrés dans la phraséologie officielle[1], à part aussi quelques néologismes visibles dans le discours de Drepanius Pacatus, qui est le moins sûr de tous ces écrivains comme il en est le dernier en date[2], dans l’ensemble, leur vocabulaire ne contient presque aucun mot qui n’appartienne à la latinité cicéronienne[3].

Et non seulement les mots sont conformes à l’usage de la bonne époque, mais aussi la façon de s’en servir. On rencontre à peine deux ou trois de ces expressions transposées du langage de la poésie dans celui de la prose, comme « le sanctuaire des Muses » ou « l’Océan confident du Soleil couchant : » et pourtant ces manières de dire s’imposaient déjà du temps de Tacite à tous les prosateurs. Une autre mode, également chère à la décadence romaine, a peut-être atteint plus profondément les Panégyristes : c’est l’emploi des périphrases abstraites au lieu des termes concrets : « Ta majesté a indiqué ce jour à ma médiocrité. » « Cette ville jouit de la perpétuité de ta présence. » « Rome apportait à la demande de la pitié la gloire de son ancienne grandeur. » « Les Barbares étaient enflammés par l’accord d’une coalition alliée. » « Tu gagnes un redoublement de gloire par la multiplication de la terreur. » Évidemment de pareilles tournures ne sont pas sans être un peu recherchées : mais elles ne sont pas inconnues même de l’époque classique ; en tout cas, elles sont moins nombreuses, moins amphigouriques surtout, dans les Panégyriques que dans les œuvres d’Apulée, de Tertullien et d’Arnobe.

  1. Par exemple le mot salarium et le mot adorare employés par Eumène (IV, 11) pour désigner l’un son traitement, l’autre le respect dû aux empereurs.
  2. Par exemple les néologismes amplificatrix (XII, 8) et ostentatrix (XII, 17), — dont le second, il est vrai, est déjà dans Apulée, — l’archaïsme osor (XII, 20), — retro employé dans le sens de olim (XII, 13, 14, 22, 31) et postremo dans le sens de demum (XII, 43).
  3. On peut citer seulement les néologismes incitatrix (X, 34), inflammatrix (XI. 3), collaliuus (X, 18), l’archaïsme perpes (II, 3 et III, 3), et la forme rare sperum (VII, 15).