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douter du peuple ! » Le voilà donc heureusement rallié à la doctrine de sa jeunesse, au dogme de la bonté naturelle du peuple, ce mot d’ordre mystique du romantisme social. Il s’y tiendra désormais : il peut à peine comprendre qu’on l’ait vu s’écarter de cette sûre sagesse. Il insinue que ce fut quelquefois à dessein, afin d’en mieux appuyer les leçons. Ainsi, dans la préface des Dialogues philosophiques, il prétend avoir imité souvent l’exemple de Jean-Paul Richter, qui fit un jour « prêcher l’athéisme par Jésus afin d’en inspirer l’horreur. » En effet, le moyen le plus énergique pour relever l’importance d’une idée, c’est de la supprimer, et de montrer ce que le monde devient sans elle. Or, quelle est l’idée qui manque aux dialogues, où brille cette « hiérarchie de fer, » dont la nature nous donne elle-même le spectacle, sinon l’idée égalitaire et démocratique, l’amour du peuple, la bonté universelle. L’auteur estime qu’il a mis dans un relief extraordinaire le rôle de ces vertus, en les écartant à dessein de son horizon moral. Au surplus, s’il faut l’en croire, les conseils qu’il a prodigués à ses concitoyens au cours de sa carrière furent bien souvent au rebours de ses opinions d’artiste. et c’est pourquoi les « bourgeois » ne lui surent jamais gré, dit-il, des concessions qu’il a faites à leur point de vue : « Ils ont bien senti que j’étais un faible conservateur, et que, avec In meilleure foi du monde, je les aurais trahis vingt fois par faiblesse pour mon ancienne maîtresse, l’idéal ! » L’ « idéal, » ici, c’est le romantisme moral.

La préface des Mélanges, qui est de 1878, examinant la situation politique de la France, marque encore un regret à la monarchie traditionnelle délaissée. La Prusse s’est appuyée sur ses rois dans son effort de réfection nationale après Iéna, et les vaincus de 1806 s’en sont bien trouvés. Mais quoi ! la démocratie a été préférée par la France. Elle aura ses avantages. L’étranger l’attaque : c’est donc qu’il en est jaloux. Ce que nous aurons pourra être fort agréable, fort brillant, fort aimable. Toutefois, il ne faudrait pas nourrir l’illusion de trouver dans cette voie les avantages d’un gouvernement fort. On ne peut tout avoir. Ce qui nous est réservé, c’est la mollesse, la dissolution lente des disciplines aristocratiques et corporatives. Perspective peu attrayante ! dira-t-on. Mais notre consolation doit être que tous les pays viendront, chacun à leur tour, à l’état où nous sommes déjà parvenus. Et s’il y a quelque danger à jouer ce rôle de