Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dura une quinzaine, et ne fut qu’une simple préface en tête d’un long ouvrage, dont il est inutile d’énumérer ici tous les chapitres. En septembre 1722, quatre ans après la noce, nous trouvons la marquise pourvue d’un amant attitré, Delrieu de Fargis, favori du Palais-Royal, fils d’un partisan enrichi[1], homme « aimable, dit Luynes, et de bonne compagnie, » mais profondément corrompu et l’un des roués les plus cyniques du temps. C’est plus que n’en voulut supporter le mari, qui n’avait rien d’un complaisant. Il avait pu jusqu’alors ignorer les imprudences et les « passades, » mais l’infidélité notoire et affichée provoqua sa colère. Mathieu Marais dit qu’il la « renvoya, » et il semble en effet qu’à ce moment eut lieu la première rupture du ménage, mais elle ne fut que passagère. La femme était adroite et l’époux amoureux ; après deux ans, une réconciliation survint, dont la condition acceptée fut que l’on renoncerait au séjour de Paris pour vivre au château de La Lande. Peut-être était-ce trop exiger ; l’épreuve fut lourde pour tous deux, et, par les lettres du marquis, il est aisé de deviner ce que fut la monotonie de ce tête-à-tête conjugal :


Nous sommes dans un pays éloigné de la poste, où nous ne recevons les lettres qu’une fois par semaine, et auxquelles on ne peut répondre que huit jours après. Nous ne savons aucune nouvelle, et nous nous ennuyons parfaitement. Nous n’avons d’autre ressource que de songer à tout ce que nous avons quitté et aux plaisirs dont vous jouissez… Nous avons eu pendant huit ou dix jours fort beau temps, pendant lequel nous avons profité de la promenade. Il fait maintenant si mauvais, que nous avons été longtemps sans envoyer chercher nos lettres[2]


Au bout de six mois de ce régime, le pacte se rompit, comme on eût pu prévoir. Ils revinrent à Paris, chacun de son côté, plus désunis encore et plus aigris qu’auparavant, et s’installèrent quelques années dans la position fausse d’époux tacitement séparés, sans arrangement conclu et presque sans explication. Les rares billets qu’on a de cette période les montrent également désemparés, découragés, pénétrés de mélancolie.


J’ai été obligé de garder la chambre pendant un mois, écrit le marquis du Deffand, et mon père, qui devait venir ici le mois dernier, a différé son

  1. Il eut quelques années après, au sujet de son nom, un procès retentissant avec les comtes de Rieux, procès auquel mit fin une transaction consentie des deux parts. Il mourut de la petite vérole le 7 décembre 1742.
  2. Lettres des 28 octobre. 1724 et 1er février 1725. — Archives de la Drôme.