Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jeudi 8 septembre 1729. — Les raisons que je donne à M. d’Aulan pour excuser mon silence sont les mêmes pour vous, ma chère sœur, et je vous promets, ainsi qu’à lui, de les surmonter toutes à l’avenir pour vous donner de mes nouvelles et vous demander des vôtres. Je suis ravie de ce que votre santé est bonne et que votre grossesse ne vous incommode point. Je vous dirais bien que j’accepte avec grand plaisir d’être la marraine de votre enfant, si M. d’Aulan m’en avait parlé ; mais comme il ne m’en dit mot, j’imagine qu’il a d’autres vues. Vous ferez bien de les suivre et d’être bien certaine que je vous aime trop l’un et l’autre pour me formaliser de ces choses-là. La même amitié m’oblige de vous dire que j’ai été étonnée de la lettre que vous avez écrite à l’abbé[1]. Je l’ai lue, et la réponse qu’il vous a faite : je n’ai rien pu condamner de tout ce qu’il vous écrit, et j’ai même été édifiée de ce qu’il n’y fait entrer nulle aigreur. Votre lettre ressemblait un peu au style de ma grand’mère[2] ; jugez s’il convient à une sœur, et à une personne de votre âge ! Mais il est persuadé de votre amitié, et je n’ai pas eu de peine à lui faire comprendre que vous n’aviez point eu l’intention de le fâcher. Vous ferez pourtant bien de lui faire quelques excuses, et mon père, dont vous lui parlez, n’aurait pas approuvé votre lettre. Je vois ses petits défauts, mais je me contente de lui donner des conseils, comme je voudrais en recevoir de lui. Je vous prie de ne me point savoir mauvais gré de ma sincérité ; elle est une preuve de mon amitié et du désir que j’ai qu’il y ait toujours entre nous tous beaucoup d’union.

Je vous suis obligée du désir que vous montrez d’avoir mon portrait. Vous vous y prenez un peu tard pour qu’il puisse être un ornement dans votre chambre ; mais vous l’aurez le printemps prochain. J’ai remis à ce temps-là à le faire faire, parce que je vais à la campagne[3]la semaine prochaine, jusqu’au mois de décembre.

— (Au marquis d’Aulan), ce mardi 18 septembre 1731. — Je vous félicite, mon cher frère, sur l’accroissement de votre famille et sur la bonne santé de ma sœur, où je prends autant d’intérêt que vous-même. Vous savez la mort et les dispositions de M. de Troyes[4]. Voilà un gros héritage qui nous arrive ! Et il faut convenir que nous entendons le vol des successions ! Ce qui me console, c’est que, quand on n’est pas riche, on se porte bien, et que les grands biens ne sont pas nécessaires pour être heureux ; je croirais même qu’ils portent malheur. Voilà la comtesse de Chavigny qui a la rougeole depuis que son fils est légataire, et nous, avec nos deux mille francs, nous sommes en bonne santé.


La marquise fait ici contre fortune bon cœur, mais les questions d’argent, dans la réalité, ne la laissent pas indifférente. Si l’on désire connaître ses vrais sentimens sur ce point, il faut lire

  1. Nicolas de Vichy, abbé de Champrond.
  2. La duchesse de Choiseul.
  3. A Sceaux, chez la duchesse du Maine.
  4. L’évêque de Troyes, oncle à la mode de Bretagne de Mme du Deffand et de ses frères et sœur.