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cet aveu qu’elle fait certain jour à Voltaire : « Savez-vous, monsieur, ce qui me prouve le plus la supériorité de votre esprit et ce qui fait que je vous trouve un grand philosophe ? C’est que vous êtes devenu riche. Tous ceux qui disent qu’on peut être heureux ou libre dans la pauvreté sont des menteurs, des fous ou des sots. » On trouve presque à chaque page, dans ses lettres à sa famille, des doléances amères sur la médiocrité de ses ressources, et le récit des moyens qu’elle invente pour augmenter ses revenus. Comme son père et comme tous les siens, elle a donc l’âme intéressée ; mais, chose plus grave pour sa mémoire, on a droit de la soupçonner d’avoir, en plus d’une occasion, usé de ses attraits pour servir sa fortune. En 1722, au sortir des bras du Régent, elle se fait attribuer, par l’entremise de Mme d’Averne, une rente de 6 000 francs sur la ville de Paris. Plus tard, quand elle rompra avec le président Hénault, elle empruntera pour son installation nouvelle une somme de 15 000 livres, « en » livres d’or, d’argent et monnaie ayant cours, » par acte[1]auquel est jointe cette clause additionnelle : « À ce faire est intervenu messire Charles-François Hénault, président honoraire au Parlement, demeurant à Paris rue Saint-Honoré, paroisse Saint-Roch, lequel s’est rendu caution de ladite dame marquise du Deffand et s’oblige lui seul pour le tout, en faisant son fait comme principal débiteur… » Par ces opérations, et sans doute d’autres du même genre, elle augmenta son bien d’une manière si sensible qu’elle put, en sa vieillesse, établir comme il suit le bilan de sa fortune : « Le détail de mon revenu n’est pas fidèle[2] ; j’ai cru pouvoir, sans blesser la bonne foi, supprimer 5 ou 6 000 livres de rente, qui sont ignorées, et qui font que j’ai aujourd’hui 35 000 livres de rente. »

Les lettres ci-après donnent un aperçu de sa vie, et, pour la première fois, y apparaît l’idée de ce retour à la vie de province dont elle fera ultérieurement l’essai.


24 mars 1735. — Je vous plains bien, ma chère sœur, d’avoir à mettre un cinquième enfant au monde. Je trouvais que le nombre de quatre était bien suffisant ; apparemment que M. d’Aulan n’a pas pensé de même. Faites-lui mes complimens, à ce beau-frère, et dites-lui que je l’aimerai toute ma vie. Je serai bien aise de vous voir l’un et l’autre dans ce pays, si cela arrive

  1. Archives de la Drôme.
  2. Dans un mémoire qu’elle avait adressé au Roi pour demander le maintien d’une pension.