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Vichy que s’ils ne m’étaient rien. J’ai reçu seulement une lettre de leur fils ; il ne me paraît pas qu’on songe à l’envoyer à l’Académie ou aux chevau-légers. Je ne comprends pas quel est leur projet sur cet enfant. Le cadet est à Paris au collège ; je le vois rarement et ne m’en mêle en aucune sorte. On prévoit ici la guerre, qu’on regarde comme inévitable ; c’est un grand malheur.

28 janvier 1757 (au marquis d’Aulan). — Vous aurez appris, monsieur, le terrible événement de la veille des Rois[1]. Le trouble, la terreur, ont suspendu toute autre occupation et tout autre sentiment. C’est mon excuse de n’avoir pas eu plus tôt l’honneur de répondre aux marques de souvenir et d’amitié dont vous m’avez honorée. Le Roi se porte bien ; il ne lui reste, Dieu merci, aucune fâcheuse suite pour sa santé, ni aucune impression de tristesse dans son humeur. Je vous supplie, monsieur, de me conserver toujours l’honneur de votre amitié ; je la mérite par mon tendre et sincère attachement.


IV

Sur ce billet, s’arrête la correspondance conservée aux archives de Valence, bien qu’elle ait continué sans doute, puisque Mme d’Aulan vécut encore dix ans après cette date. Toute regrettable que soit cette perte, on peut s’en consoler, car nous sommes parvenus à la période la mieux connue de l’existence de Mme du Deffand. Ses lettres à Voltaire, à Walpole et à la duchesse de Choiseul nous apprennent, à peu de chose près, sur son compte tout ce qui peut intéresser notre curiosité. Il me suffira donc, pour ces dernières années, d’y ajouter les rares détails que peuvent fournir nos documens sur son histoire intime et familiale.

Désormais Mme du Deffand s’est installée résolument dans « l’état de vieillesse. » Ses galanteries passées ne sont plus qu’un lointain souvenir, qui peu à peu s’efface de sa mémoire et que le monde lui-même oublie. Elle a renoncé de longue date à toute espèce de coquetterie : « Je suis mise comme une marchande de pommes ; je me donne pour vieille, paresseuse et malade. » Elle n’avait pas encore quarante-cinq ans lorsqu’elle se peignait de la sorte ; on imagine comme elle se juge, maintenant qu’elle est aveugle et qu’elle touche à la soixantaine. Malgré tout, elle conserve une grande finesse de traits et, en dépit de sa pâleur, une « fraîcheur délicate[2], » qui rendent son visage agréable ;

  1. Il s’agit de l’attentat de Damiens.
  2. Notice de miss Berry, loc. cit.