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Aussi bien un certain goût du paradoxe, une recherche du mot à effet et de la formule saisissante, ne mettent dans ce grand ouvrage que des taches légères. Il est possible, encore, comme le lui reprochent quelques historiens de profession, que M. Ferrero ne tienne pas toujours suffisamment en bride son imagination, qu’il se contente parfois de vraisemblances et tire des textes un peu plus qu’ils ne contenaient. Son mérite est très grand. Ce qui chez lui est merveilleux et qui le rend digne de tous les éloges, c’est le talent de mise en scène. Historien philosophe, il est peut-être plus encore un historien artiste, tant il y a d’éclat dans les tableaux, de mouvement dans les scènes, et de relief dans les portraits dont il sème la trame de son récit. Ses personnages, s’ils ont un peu trop l’air de notre temps, ont du moins cette supériorité sur tant de personnages historiques : ils vivent. S’il répète parfois, sans le savoir, ce que d’autres avaient dit avant lui, il le redit à sa manière : l’ordre et la disposition, l’accent et le ton sont bien à lui. Et la part une fois faite aux conjectures trop aventureuses et aux opinions dénuées de fondement, il reste encore à son actif assez de vues vraiment originales et de nouveautés solides. Certaines de ses idées sont contestables et veulent être discutées ; mais voilà justement ce dont nous nous réjouissons ! Grâce à lui, les questions qu’il traite recommencent à provoquer la discussion. L’œuvre encore inachevée du brillant historien nous a déjà rendu ce service incomparable : elle a ramené l’attention du public lettré sur la « matière » de l’antiquité et fait des idées de César, des rêves d’Antoine, et de l’administration d’Auguste des sujets d’aujourd’hui.


RENE DOUMIC.