Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ambassade, jamais il n’a perdu de vue la bataille entreprise, dans l’Empire allemand, à son instigation. En 1886, devenu gouverneur de l’Alsace-Lorraine, la persécution du clergé catholique a encore été la seule tâche qui lui tînt au cœur, le seul moyen qu’il crût proprement efficace pour achever de « germaniser » les provinces annexées. Et bien que le dernier chapitre de ses Mémoires ne nous apprenne presque rien de son rôle politique en qualité de chancelier impérial, j’imagine que la nécessité de renoncer au Kulturkampf, l’obligation de ménager et de flatter le centre catholique, ne doivent pas avoir peu contribué à aggraver le sombre pessimisme qui nous apparaît dans son journal et dans toutes ses lettres de cette période.

En tout cas, on peut aisément se faire une idée de l’action exercée par une telle conduite politique sur les croyances religieuses intimes du prince de Hohenlohe. Jusqu’au bout, avec sa conscience et sa ponctualité naturelles, ce promoteur du Kulturkampf a continué la pratique extérieure de sa religion : mais, au fond de l’âme, le vide de jadis parait bien avoir toujours duré, sans que l’approche de la mort ait eu d’autre effet que de le rendre plus sensible et plus douloureux. C’est de quoi nous trouvons un témoignage caractéristique dans une série de lettres écrites par le prince Clovis, pendant les dernières années de sa vie, à sa sœur, la princesse Élise de Salm-Horstmar. En vain celle-ci, protestante, mais remplie de la plus belle ferveur chrétienne, s’efforce-t-elle de rappeler à son frère les bienfaits et le charme de la vie religieuse : ni ses raisonnemens ni ses prières n’ont de prise sur le scepticisme du vieil homme d’État. « Lorsque tu me cites des passages de l’Écriture, lui répond-il, je ne manque pas à sentir ce qu’ils ont de touchant ; mais, avec tout cela, je ne puis m’empêcher de songer que les Évangiles ont d’abord été parlés en hébreu, puis écrits en grec, et puis traduits en latin ou en allemand, et qu’il est probable que bien des choses, en chemin, y ont changé de sens. Tout au fond de moi, je garde un certain sentiment vague de foi et d’espoir ; mais là-dessus ma raison entre en scène ; et tantôt c’est elle qui l’emporte, tantôt ce sentiment de mon cœur. » Plus tard encore, en 1889, le prince annonce à sa sœur qu’il a trouvé désormais un équivalent au christianisme, qu’elle ne se fatigue pas de lui recommander, dans une sorte de boudhisme schopenhauerien qui, « ayant traversé les souffrances du monde et la peccabilité de la Volonté, s’élève, par la résignation, à un pur état de contemplation. » Mais cet état lui-même ne semble pas l’avoir satisfait définitivement : car l’une de ses dernières lettres à sa sœur, quelques mois avant sa mort, nous le montre partagé, de