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Paris, le ton de son journal change entièrement. Le nouvel ambassadeur a retrouvé son calme naturel ; il s’intéresse à tout, approuve tout, sourit à la vie : les premières années de son séjour à Paris, à en juger par ses Mémoires, semblent bien avoir été sa seule vraie jeunesse. Encore n’est-il si heureux que parce qu’il a énormément à faire. Deux ou trois fois par an, il accourt à Berlin, pour y recevoir les instructions de ses chefs. Bismarck, immanquablement, lui recommande de travailler à empêcher la France de se remettre du coup qu’il lui a porté ; après quoi le vieil empereur, non moins immanquablement, lui déclare qu’il désire vivre en paix avec la France, et la laisser tout à fait libre de se relever. Et le prince de Hohenlohe, revenu à Paris, s’efforce de suivre tantôt les unes et tantôt les autres de ces instructions contradictoires, suivant « l’orientation » politique du moment. « S’orienter, » ce mot revient à chaque page, dans son journal intime : en bon fonctionnaire, jamais il ne cesse de tacher à deviner d’où souffle le vent. Aussi est-on ravi de ses services, à Potsdam comme à Varzin ; et lorsque, en 1880, Bismarck, fatigué et malade, projette de se faire remplacer, pendant quelques mois, par un homme sur le dévouement duquel il puisse compter, c’est aussitôt sur le fidèle Hohenlohe que s’arrête son choix. L’ambassadeur revient, provisoirement, servir à Berlin, et, somme toute, s’acquitte de sa charge intérimaire à la satisfaction de ses maîtres. Plus tard, en 1885, ceux-ci jugent à propos de le déplacer : ils lui enjoignent de quitter Paris pour prendre le gouvernement de l’Alsace-Lorraine. Et Hohenlohe s’empresse d’obéir, après avoir seulement réglé l’importante question de son uniforme, et avoir obtenu, malgré sa qualité de fonctionnaire civil, la double garde accordée au général Manteuffel, son prédécesseur. Et, une fois de plus, ses maîtres se félicitent de son zèle, de sa conscience, de sa docilité à remplir leurs ordres. Un jour, en vérité, il se permet de remontrer humblement au chancelier que les mesures de rigueur introduites par celui-ci en Alsace-Lorraine, à la suite des élections protestataires de 1887, risquent d’avoir moins d’avantages que d’inconvéniens ; mais Bismarck lui répond qu’il se trompe ; et le gouverneur, aussitôt, procède à l’application impitoyable du régime de contrainte qu’il a désapprouvé.

Ainsi vont les choses, jusqu’à ce que, dans les derniers mois de 1889, le prince Clovis, venu à Berlin pour « s’orienter, » découvre que la puissance de Bismarck est sérieusement compromise. Alors, tout de suite, d’une manière toute spontanée, inconsciente, et sans l’ombre d’une arrière-pensée, l’ancien confident du chancelier commence à se