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Au moment où nous écrivons, le débat se continue. Il se terminera à coup sûr par un vote de confiance dans le gouvernement, car le succès de M. Briand a été vif. La discussion a été interrompue pendant une séance par celle du crédit pour la création du ministère du Travail. On aurait pu croire que ce nouveau débat nous éloignerait de la question religieuse ; il nous y a ramenés, au contraire, tant il est vrai que cette question est au fond de toutes les autres, ou du moins de toutes celles qui ont une certaine importance morale, politique ou sociale. M. Charles Benoist a présenté avec beaucoup de vigueur et d’autorité les observations que nous avons faites ici même sur la manière, sinon inconstitutionnelle, au moins singulièrement cavalière, dont le nouveau ministère a été créé par un simple décret. On sait que la Chambre de 1881 s’était associée au vœu, exprimé par sa commission du budget, que les ministères fussent désormais créés par une loi. Nous avons rappelé, il y a quinze jours, comment s’est produit l’incident, l’éclat qu’il a eu, et aussi ses premières conséquences : le ministère des Colonies a été créé par une loi en 1894. M. Charles Benoist a rappelé ces précédens, non pas pour combattre le ministère du Travail dont il est partisan, mais pour faire respecter davantage les droits moraux du Parlement. Un vœu est peu de chose, on vient de le voir : il ne s’impose qu’aux gouvernemens qui veulent bien s’y conformer. En conséquence, M. Charles Benoist a déposé, pour l’avenir, une proposition formelle, et il veillera sans doute à ce qu’elle ne tombe pas dans les oubliettes parlementaires.

Bien que l’institution du ministère du Travail n’eût pas été attaquée, M. Viviani brûlait de l’impatience de la défendre. Il avait préparé un grand discours, il l’a prononcé, et la Chambre enthousiaste en a ordonné l’affichage. M. Viviani est sans doute un orateur de talent ; mais la Chambre est bien jeune dans la fraîcheur de ses impressions, et elle impose par là au pays une épreuve bien déconcertante. Elle a ordonné, il y a quelques mois, l’affichage du discours de M. Clemenceau, qui était une critique acerbe et une condamnation sévère du socialisme. Elle ordonne aujourd’hui l’affichage de celui de M. Viviani qui en est la justification et la glorification. Le premier est encore sur les murs de nos communes ; le second pourra être collé tout à côté. Comprenne qui pourra ! Après ces deux discours, la présence de M. Clemenceau et de M. Viviani dans un même ministère est une antinomie vivante : on se demande quel est le vrai président du Conseil. M. Viviani a dit très fièrement à la Chambre que M. Clemenceau, en