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Le Jugement Dernier, surtout, avec sa Résurrection des morts, est un sujet favori d’études plastiques, en Italie comme en France. Avec quelle joie, vers 1320, des élèves, florentins ou siennois, de Giovanni et d’Andréa, mêlés à des collaborateurs ultramontains, le développent, en tableaux de marbre, sur la façade polychrome de l’éblouissante cathédrale d’Orvieto ! Avec quelle variété, quelle délicatesse, ils affirment l’amour esthétique de la beauté dans la multitude des figurines, nues ou drapées, qui s’agitent, gesticulent, prient et pleurent, chantent ou blasphèment entre les cadres formés par les entrelacs des branches grimpantes ! L’esprit grec des terres cuites de Tanagra et des lécythes attiques, par une mystérieuse transmission à travers des siècles d’oubli, semble animer de nouveau ces évocations toscanes. L’âme antique, l’âme impérissable, opère ici, comme elle avait déjà opéré, sur les bas-reliefs familiers de nos portails et piliers, à Chartres, Paris, Amiens, Reims. Voici partout renouvelé l’accord charmant de la grâce païenne et de la sensibilité chrétienne, accord si bien préparé, aux IVe et Ve siècles, dans l’Église primitive, mais depuis si tristement oublié dans le chaos des invasions et des installations barbares.

Les peintres, çà et là, à Sienne les Lorenzetti, à Florence le puissant Orcagna, rivalisent avec les sculpteurs. Les poétiques compositions de la chapelle des Espagnols et de la chapelle Strozzi à Florence, du palais Public à Sienne, du Campo Santo à Pise, offrent nombre de figures, viriles ou féminines, historiques ou allégoriques, d’une beauté vraie et nouvelle. Néanmoins, en général, les Giottesques tâtonnent encore, gênés par leurs insuffisances techniques ; ils s’en tiennent, le plus souvent, à des traditions de style synthétique et sommaire, ils ne pensent que par hasard à faire de la beauté l’objet principal de leurs recherches et l’attrait supérieur de leurs ouvrages. Tout allait changer bientôt sous la nouvelle poussée, plus générale et plus ardente, donnée, dans la seconde moitié du siècle, par Pétrarque et Boccace.

Dans Pétrarque, la beauté de Laure s’analyse avec une richesse d’émotions sensuelles et sentimentales que le monde moderne n’oubliera plus. Quant à Boccace, ce prodigieux polyphile et polygraphe, son rôle dans cette évolution est plus décisif et plus considérable encore. Déjà, dans ce scandaleux et admirable Décaméron, que de tableaux vivans, d’un relief net