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jaillir, même des têtes les plus ingrates, déformées, vieillies, affreuses, une inexprimable joie de beauté (bustes de Brunellesco, Niccolo da Uzzano, Matteo Palmieri, Filippo Strozzi, etc.). A plus forte raison, quelle saveur et quel charme dans ces affirmations de vérité, lorsqu’elles nous apparaissent sous des formes aussi gracieuses et attirantes, par exemple, que celles de la Marietta Strozzi (Berlin) ou de la Dame aux Fleurs (Florence), et qu’elles se manifestent encore, plus ou moins exaltées ou épurées, dans les délicieuses Madones, dont les célestes beautés se renouvellent et se modifient à l’infini, grâce à cette insatiable admiration des artistes pour la beauté terrestre.

Chez les peintres, dans le premier quart du siècle, la nudité n’avait osé encore apparaître que justifiée par un sujet biblique ou évangélique, très timidement, incertaine et vague. Masolino da Panicale, puis Masaccio, entre 1420 et 1428, dans les fresques du Carminé, rompent les premiers avec les formules usées, en étudiant leurs figures d’après des modèles vivans dans leurs Paradis terrestres. A la même heure, en Flandre, à Saint-Bavon de Gand, les frères van Eyck, posaient, comme eux, un Adam et une Eve, en même état de nature, sur les volets du Triomphe de l’Agneau terminé en 1432. Preuve nouvelle, entre mille, de cet internationalisme actif et constant d’où sont sorties toutes les évolutions régionales des arts en Europe pendant et depuis le moyen âge ! Constatation non moins frappante des différences foncières et persistantes qui, durant ces évolutions communes, distinguent le génie méridional du génie septentrional !

Que l’on compare (en tenant compte de leur état actuel) les fresques à la détrempe de Florence, toujours en place, si délabrées, avec les panneaux peints à l’huile, de Gand (Musée de Bruxelles) disjoints de l’œuvre principale, si bien conservés ! Pour la vigueur du rendu matériel, la sûreté de l’armature osseuse, l’exactitude de l’enveloppe charnue, le praticien flamand triomphe, haut la main. L’Homme et la Femme, séparés, de loin, se regardant à peine, sont posés comme des modèles dont l’œil aigu et le ferme pinceau de l’artiste ont reproduit, avec un scrupule impitoyable, les formes et la couleur dans toute leur réalité. Comme rendu des reliefs, des chairs tendres ou dures, pâles ou brunes, fraîches ou fauves, suivant les membres, c’est extraordinaire ; on n’a jamais fait mieux. L’Adam et l’Eve de Masolino, côte à côte, vus de face, s’entretiennent tendrement