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contient, assurément, des traits justes. Comment donc ne pas sourire des languissans et maigres esthètes qui s’évertuent à trouver un patron neurasthénique dans ce bon vivant ? Botticelli s’est peint, alors, dans un coin de l’Adoration des Mages, parmi ces mêmes fils de famille, pétulans et exubérans. Et son visage plein, sa physionomie ouverte, ses lèvres charnues et entre-bâillés, ses gros yeux ronds, francs, un peu vagues, répondent bien au signalement comique donné dans les Beoni (Biberons).

L’Adoration des Mages, pièce capitale commandée, vers 1475 ou 1476, pour les Médicis, par quelqu’un de leurs partisans, marque une nouvelle étape dans l’invasion des sujets religieux par l’iconographie contemporaine. Les Médicis, Cosme et Pierre, avec leur cortège de conseillers et d’amis, s’y agenouillent, dans une masure, devant la Vierge qui leur présente son nourrisson. Jusqu’alors les hommes du jour n’avaient osé figurer dans les scènes évangéliques, qu’à l’état de donateurs et supplians, en bas, très humbles et petits, ou, tout au plus, modestement à l’écart, assistans recueillis. Botticelli, en suivant l’exemple de son maître Lippi à Prato, va plus loin que lui. Ses spectateurs sont les gens qu’on vient de coudoyer. Rien de changé dans leurs habits, dans leurs traits, dans leurs gestes. Les voilà campés des deux côtés de la scène, tournant la tête pour se montrer de face, ou se haussant par-dessus les voisins pour voir ce qui se passe. Ainsi, au XVIIe siècle, sur nos théâtres, au Palais-Royal, ou à l’Hôtel de Bourgogne, autour de la Béjart ou de la Champmeslé, donnant la réplique à Molière ou Baron, se presseront nos marquis et chevaliers. Avec tact et convenance, Botticelli, en superposant le groupe de la Vierge et de saint Joseph, sur un piédestal de ruines, les a, d’ailleurs, isolés de cette assemblée mondaine, fort peu attentive. Lui-même ne renouvellera qu’à Rome et par obligation officielle ou par émulation avec ses rivaux portraitistes, cette adjonction de comparses. Il restera, en général, dans ses compositions, observateur attentif de l’unité d’action. Toutefois, cette hardiesse occasionnelle allait encourager nombre d’artistes moins scrupuleux. L’épopée, la légende, l’histoire vont être envahis par une foule de parasites encombrans. Les vanités contemporaines y trouvaient leur profit. Nos curiosités rétrospectives ne peuvent que s’en réjouir. Mais en est-il moins vrai que ces hors-d’œuvre compromettaient toujours, lorsqu’ils ne le détruisaient pas absolument, l’effet expressif, que