Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Olympe ont des adorateurs aussi fervens que le Dieu de l’Evangile, sa conception de la beauté devient plus étendue, plus délicate et plus haute. Un contemporain le signale à ce moment comme l’artiste le plus viril de Florence. Personne, en effet, n’y créa rien alors d’aussi puissamment calme et noble, rien d’une aussi mâle et enchanteresse sérénité que Pallas et le Centaure, la Sagesse domptant la force. Cet étonnant morceau peint pour Laurent, à son retour de Naples, symbolisait sa victoire diplomatique. Par la force et la grandeur de la pensée, par la franchise libre de l’exécution, c’est un chef-d’œuvre. La rayonnante beauté de la Déesse, à la fois si robuste et si délicate, si imposante et si affable, réalise l’union de la grâce florentine et de la noblesse antique, avec une aisance et un charme qu’on n’a point dépassés.

Son séjour à Rome (1481-1483) où il prit part, comme directeur, semble-t-il, avec Cosimo Rosselli, Perugin, D. Ghirlandajo, Signorelli, Pinturicchio, à la décoration de la Sixtine, en le confirmant dans ses tendances, détermina chez lui une évolution plus originale encore. La majesté des ruines antiques, le contact des lettrés romains, le spectacle des magnificences et des corruptions pontificales exaltèrent jusqu’à la souffrance ses insatiables curiosités et multiplièrent en lui les inquiétudes du rêve et de la pensée. Il devient plus studieux, plus grave, préoccupé de morale et de religion. Aucun de ses rivaux, plus paisibles et plus pondérés, n’apporta, dans ses narrations tranquilles, la grâce idyllique, la variété d’expressions et de types, la grandeur tragique, l’émotion et le mouvement dramatiques qu’il mêla, d’une verve puissante et libre, dans les tumultueuses épopées de la Jeunesse de Moïse, du Châtiment des Révoltés, de la Purification des Lépreux. Signorelli, Michel-Ange, bien d’autres s’en souviendront. Vasari, au siècle suivant, peintre officiel et courtisan, ne comprendra rien aux anxiétés et aux sincérités de ce bonhomme naïf, qui mourra, infirme et misérable, après avoir été si célèbre et gagné tant d’argent. A travers ses dédains, on devine la vérité, sous les traditions qu’il recueille sans contrôle. « A Rome, dit-il, ayant acquis, parmi tant de concurrens, la plus grande renommée, il reçut du Pape une grosse somme d’argent. Mais il la mangea et dépensa tout entière, à la fois, dans cette ville, vivant au hasard, suivant sa coutume, et dès que son travail fut achevé et découvert, il s’en revint de suite à