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ledit marquis se trouverait contraint de payer ces sommes en tout ou partie. » Mais d’une part, Emilie ne voulait point laisser partir cette déclaration. Et d’autre part, il suffisait à Mirabeau de s’être montré prêt à la délivrer ; ayant l’avantage, de l’avoir proposée, il encourageait probablement sa femme à la retenir ; il laissa donc Emilie écrire à Mme de Limaye la lettre suivante :


A Manosque, le 14 avril 1774.

Je suis plus empressée, ma chère cousine, de vous plaindre et de vous consoler, que de me justifier à vos yeux ; car quand la démarche que m’a prêtée M. de Limaye serait aussi vraisemblable qu’elle l’est peu, j’ose croire que vous, qui m’avez honorée de tant de louanges, ne m’avez pas plus soupçonnée de fomenter le dérangement de votre mari que celui du mien. J’avoue que je ne m’attendais pas que M. de Limaye, pour se tirer d’affaire d’avec les juifs, compromît purement de sa tête, d’une manière aussi ruineuse, mon mari ; mais je m’attendais encore moins qu’il osât se procurer des faux fuyans à l’ombre de mon nom. Non, ma cousine, il n’est pas plus vrai que j’aie sollicité le cautionnement de votre mari, qu’il ne l’est qu’aucun de nous lui ait proposé de contracter pour 50 000 livres : et bien que je sois convaincue que ces deux faits sont également faux, je n’ai que le droit d’assurer le premier, parce qu’il est le seul qui ait dépendu nécessairement de moi, et je vous jure, sur mon honneur, qu’il n’en a jamais été question.

Maintenant vous sentez, ma cousine, qu’il n’est pas plus décent que possible que je signe une déclaration que tout le monde a conseillé à mon mari de ne pas livrer et que son seul attachement pour vous aussi bien que sa confiance en votre sagesse ont pu lui arracher. Je vous fais juge, ma chère cousine, si je puis m’associer à un tel acte, et si cette sorte de complicité aux fables de votre mari ne répugnerait pas à l’honnêteté.

Que vous dirai-je à présent sur votre position, ma chère cousine ? Je ne puis que la partager et vous plaindre bien vivement de troubles domestiques si peu prévoyables.

Recevez l’assurance de ces sentimens, comme une suite nécessaire de la tendre et respectueuse amitié que je vous ai vouée pour la vie.

MARIGNANE DE MIRABEAU.


J’espère, ma chère cousine, que vous ne trouverez pas mauvais que j’engage mon mari à différer de vous envoyer la déclaration, jusqu’à ce qu’il vous ait communiqué les raisons très importantes que nous avons dans les circonstances pour regarder cette démarche comme très dangereuse.

Donnez-moi, je vous prie, des nouvelles de votre fils. Je désire qu’il se porte aussi bien que le mien.


Par le même courrier, sur un ton plus vif et plus catégorique si possible, Emilie adressait à M. de Limaye un démenti semblable. Mis au pied du mur par sa femme, le pauvre mari