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imprimée, en seize couplets, où la femme du lieutenant criminel de la sénéchaussée et les femmes de la bonne compagnie qu’elle rassemblait chez elle étaient grossièrement diffamées. Des exemplaires en avaient été aussi répandus dans l’église paroissiale, dans les magasins, dans les lieux publics, et par toute la Provence jusqu’à Marseille, jusqu’à Senez même, pour le divertissement des chanoines. L’indigence d’esprit que ces vers dénotaient chez leur auteur anonyme et leur prétention à n’être qu’une maligne joyeuseté, firent qu’on les attribua tout d’une voix au marquis de Cabris, réputé faible de tête, dépravé et sans jugement. C’était lui prêter au-delà de sa capacité. Un sien ami procureur avait composé ce papier, que lui-même ne s’était chargé que d’afficher et de colporter. Cette preuve d’imbécillité valut par la suite à M. de Cabris d’être interdit. Mais l’opinion publique persistait à impliquer sa femme dans cette affaire et à réclamer des poursuites ; on ne trouvait toutefois point de juges pour ouvrir une instruction. Cette sœur de Mirabeau, belle, audacieuse et éloquente, vivait sans honte dans une liaison affichée avec un sous-aide major d’infanterie, M. de Jausserandy. Il était âgé de vingt-cinq ans environ et habitait Grasse depuis un an. Ces amans se valaient ; mais Louise, ordinairement habillée en homme, bottée et éperonnée, tenait la cravache, et lui, le fuseau. Elle méritait déjà excellemment ce surnom de Rongelime que, pour sa ressemblance au serpent de la fable, lui décernerait bientôt son père. Vindicative avec furie et constance, elle était capable de rédiger des libelles, de susciter des intrigues, de pousser à des violences, de s’y livrer la première, de faire le pire, en un mot, excepté une sottise plate et lâche. Aussi avait-elle promis une correction de ses belles mains à l’un de ses calomniateurs, son parent, M. de Villeneuve, baron de Mouans, sexagénaire empâté qu’on appelait gras-fondu. Mais celui-ci ne se le tenait pas pour dit.

Le 5 août, Mirabeau se trouvait dans une propriété dite des Indes, limitrophe du lieu de Mouans, chez une belle-sœur de M. de Villeneuve persécutée par celui-ci depuis vingt ans et traînée de procès en procès. Il y avait là Mme de Cabris et le seigneur de Briançon. Après un dîner copieux, tous allèrent prendre l’air de la campagne où, comme par hasard, ils rencontrèrent M. de Villeneuve qui s’en allait surveiller les ouvriers de sa terre. Mirabeau se détacha de son groupe et lui demanda des excuses ou une réparation immédiates pour les propos tenus contre sa sœur. Ou