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dont ils se rapprochent à chaque progrès matériel et moral. » Voilà certainement de l’éloquence ! mais M. Roustan ne l’a-t-il pas dépensée en pure perte, s’il n’a jamais été question de « préférer » Julie d’Angennes à Mme Geoffrin, ou inversement, — et pour en faire quoi ? je le lui demande ; — mais uniquement de savoir quelle a été l’œuvre des « salons, » à deux momens essentiels de notre histoire littéraire, et quel jugement nous devons faire de cette œuvre.

Quand donc Mme de Rambouillet, au lendemain des troubles et des agitations violentes de la Ligue, a essayé de contribuer pour sa part à cette politique d’apaisement et de « fusion » qui était celle d’Henri IV, en réunissant chez elle quelques hommes de lettres, encore un peu pédans, et quelques grands seigneurs, encore assez grossiers, à quelques « nobles dames, » on l’attendait, pour ainsi dire, et rien ne pouvait être alors plus utile aux intérêts de notre littérature. Elle avait été jusque-là presque exclusivement « virile » ou « masculine, » en ce sens que, pas plus que la littérature latine, elle n’avait tenu compte des exigences de l’esprit féminin, et il était temps, il était vraiment temps, après Rabelais et Montaigne, que la femme y prît sa place et son rôle, ou, si l’on le veut, qu’elle essayât d’y faire pénétrer quelques-unes des qualités qui sont les siennes. Comme d’ailleurs ces qualités, de quelque nom qu’on les nomme, politesse, délicatesse, finesse, agrément, sensibilité, sont inséparables du désir de plaire, il était naturel que, dès que les sexes se réunissaient, l’amour, ou, d’un terme plus exact peut-être, la galanterie devînt le principal objet des conversations de salon ; et, en effet, on le sait, M. Roustan a raison de le rappeler, c’est ce qui arriva. On sait aussi, et il faut également le rappeler quand on veut être juste, que toute une littérature est sortie de là, qui n’est pas uniquement représentée par les Lettres de Balzac, ou les interminables romans de Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus ou Clélie, mais aussi par quelques tragédies, et notamment celles du grand Corneille. L’hôtel de Rambouillet, nous dit-on, n’approuva pas Polyeucte dans sa nouveauté. Soyons certains, si l’anecdote est vraie, que Corneille en fut profondément blessé, car il avait certainement écrit son Polyeucte, comme aussi bien son Horace et son Cinna, « pour » l’hôtel de Rambouillet. Corneille est le poète « selon l’hôtel de Rambouillet, » lequel jamais ne le sacrifiera à Racine, et si nous, insistons sur ce point, c’est que rien ne